C’est la règle. Toutes les sociétés ont besoin d’un fou. Précieusement pointé du doigt pour mettre à distance les névroses universelle, l’illuminé sert de cobaye et porte bien souvent le fardeau des vérités que nous redoutons. Pour peu qu’il soit artiste, il en fait même son métier. Surgit alors l’exception : contraint au succès, aux hasards heureux du marché de l’art, le barjo créatif rend la folie branchée.
DE 400 FRANCS À 5 MILLIONS D’EUROS
Le père involontaire de ce mystérieux phénomène est peut-être Vincent Van Gogh (1853 – 1890 ). Archétype du peintre maudit, l’artiste n’eut la chance de vendre qu’une seule toile de son vivant… quelques mois seulement avant son suicide solitaire en asile. Mais les temps changent – et les côtes aussi. Nous voilà en 2021 : depuis la toile à 400 francs vendue timidement sous le manteau de son frère Théo, l’œuvre de Van Gogh a fait du chemin. Elle est aujourd’hui sous le marteau et atteint entre 5 et 8 millions d’euros.
C’est du moins ce que dit l’estimation de sa prochaine toile. Vendu chez Sotheby’s – en collaboration avec la Maison Mirabaud-Mercier – le 25 mars prochain, Scène de rue à Montmartre ( Impasse des deux frères et le Moulin à Poivre ) date de 1887. Un Paris méconnaissable où un moulin à poivre sert de décor à la balade d’un couple et de leurs deux enfants. Charmant. Mais que cache-t-il vraiment ?
UNE FOLIE QUI À LA COTE
Battant en brèche l’austérité de ses jeunes peintures, Van Gogh retiendra de son court séjour parisien ( 1886 – 1888 ) comment exploiter la couleur. Frénétique, elle servira de cache misère à ses tourments intérieurs. A cette époque, bien sûr, elle semble au repos. Qui pourrait croire qu’un joli moulin aux teintes crèmes recèle tout le génie du peintre qui, quelques mois plus tard, se coupera l’oreille ? Les fous n’ont de reconnaissable que ce qu’ils veulent bien montrer.
Comme une manière de cerner l’identité avant–garde, la vente Sotheby’s « Art Impressionniste et moderne » promeut justement la naissance de nouvelles inspirations. Eh oui, non loin du Van Gogh alléchant, quelques Degas, Renoir, Pissarro et Dufy, Matisse ou Van Dongen sont aussi mis à la vente. Bien que modiquement estimés à côté du peintre hollandais, tous plaident en faveur d’une prédominance de la couleur : des scènes bourgeoises de Pissaro, jusqu’à la Danseuse au tutu vert d’Edgar Degas – estimée 2 à 3 millions d’euros.
EDGAR DEGAS
(1890-1976)
DANSEUSE AU TUTU VERT – 1887Estimation : 2 000 000 – 3 000 000 €
Hommage involontaire à la solitude créative de Van Gogh, Scène de rue à Montmartre sera – comme le reste de la vente – soumise à des enchères en huit clos. Un cercle restreint qui n’est pas sans ajouter au caractère inédit de l’œuvre – car jamais exposée. Conclusion : de persona non grata à Van Gogh mania, voila donc la folie vengée. Quant à la bataille d’enchères, elle s’annonce plus euphorique que jamais.