Au théâtre Lepic, souriez, tout va mal

Prendre le pire et en rire, voici le parti pris de la nouvelle pièce de Rudy Milstein : « C’est pas facile d’être heureux quand on va mal » offre un bain d’humour décapant au cœur des tourments de trentenaires en quête de bonheur. 

Ils sont cinq. Cinq parisiens, trentenaires aux profils si communs qu’ils pourraient être vos voisins de palier. Crédits photo : Alejandro Guerrero

Pour peu qu’une petite dépression saisonnière vous gagne, la nouvelle pièce titre de Rudy Milstein au Théâtre Lepic ne semble pas des plus engageantes : C’est pas facile d’être heureux quand on va mal nous annonce le metteur en scène. Et pourtant ! La dégustation pourrait bien s’avérer réjouissante, si tant est que vous l’aimiez acide et résolument piquante.

LE BLUES DU TRENTENAIRE

Ils sont cinq. Cinq parisiens, trentenaires aux profils si communs qu’ils pourraient être vos voisins de palier ou vos connaissances de fin de soirée. Nora et Jonathan sont en couple – du moins c’est ce qu’ils donnent à voir. Car entre eux, plus rien ne va. Jeanne mange bio, roule à vélo, ne fume ni ne boit : rien qui ne suffise à la préserver d’un cancer. Cette annonce vient dynamiter son illusoire stabilité.

Maxime cherche l’amour : réseaux sociaux ou partouzes, tout est prétexte à faire de nouvelles rencontres. Hypersensible et immature, son caractère finit par se conjuguer à une précarité affective. Quant au narcissique Timothée, sa vie semble placée sous le signe de l’individualisme assumé. Cette désinvolture serait-elle le paravent d’une solitude exacerbée ?

Pour chacun d’entre eux donc, « tout va mal ». Comment partir en quête du bonheur tandis que rien ne semble s’y prêter ? Avec cette socio-comédie à l’écriture acérée, la réponse de Rudy Milstein pourrait bien en déconcerter plus d’un. 

Exit le florilège de bons sentiments tant espérés, celui-ci taillade l’injonction sociale au bonheur pour en prendre l’exact contre-pied. N’en déplaise aux friands de philosophies épicuriennes à la Disney ( « il en faut peu pour être heureux » dans le texte), le menu des festivités de Milstein laisse place à l’humour noir en guise d’assaisonnement corsé.

Crédits photo : Alejandro Guerrero

« Rudy Milstein taillade l’injonction sociale au bonheur pour en prendre l’exact contre-pied. » 

RIRE CONTRE LE SPLEEN

Le parti pris est osé et il fonctionne. Dès les premières minutes, le public rit fort. Et si certains rient jaune à ce style punchlines, la tonalité de la pièce fait aussi mouche. Tous les sujets y passent : le cancer de Jeanne, la déportation des grands-parents de Jonathan mais aussi les petites méchancetés des uns envers les autres…

Un cynisme distillé sur un rythme crescendo :  il rappelle au spectateur qu’il est possible de rire de tout, sans oublier qu’un malheur en chasse un autre. Relativisez ! Le bonheur est-il au bout du chemin ? Avec ceux-là, rien n’est moins sûr. Pétris de défaillances, empêtrés dans leurs schémas dysfonctionnels, Nora, Jonathan, Jeanne, Maxime et Timothée ont, sans conteste, l’allure d’anti-héros en mal de sérénité. 

Au gré de leurs histoires croisées, Rudy Milstein parvient à souligner toute la férocité des relations humaines. Happy end oblige, tous tentent in fine un pas de côté pour avancer, esquissant néanmoins certaines remises en question opportunes. 

Au gré de leurs histoires croisées, Rudy Milstein parvient à souligner toute la férocité des relations humaines.Crédits photo : Alejandro Guerrero

La plume de l’auteur et le jeu ciselé des comédiens parviennent à monter des personnages touchants. L’interprétation tout en spontanéité réussit notamment à happer le public au cœur de situations d’un réalisme confondant. 

S’articulant autour d’un long banc modulable, la mise en scène, dynamique et fluide, délimite un espace relativement neutre, propice à la projection. Une fois le rideau tombé, il y a fort à parier que Timothée ou Nora vous soient si familiers que vous ayez la sensation de les avoir déjà croisés.

Sans conteste, la pièce de Rudy Milstein dénote par sa tonalité aussi incisive qu’inhabituelle. Celle-ci n’en reste pas moins divertissante et réjouira à coup sûr les adeptes d’une telle causticité. Quant aux autres, rassurez-vous, noir c’est noir … il reste de l’espoir !

Amandine Violé

La Perle

« C’est pas facile d’être heureux quand on va mal » de Rudy Milstein
Mise en scène : Rudy Milstein et Nicolas Lumbreras
Du 17 janvier au 12 mai 2024

Théâtre Lepic
1 avenue Junot 75018 Paris

theatrelepic.com
Instagram : @theatrelepic