Au procès du graffeur Lekto, l’art terni par les relents complotistes 

Jugé en appel à Nîmes pour “injure” et “provocation publique à la discrimination”, l’artiste est à l’origine d’une fresque murale réalisée à Avignon en 2022, représentant Emmanuel Macron manipulé par l’économiste Jacques Attali.

La fresque se situe sur un mur à proximité d'une avenue très empruntée par les automobilistes. Elle a été dévoilée à l'occasion du Festival d'Avignon en 2022. Capture d'écran @lekto

Quand on l’écoute se défendre à la barre, ce sont des rêves d’esprit libre, d’artiste engagé, et de justicier des plus faibles qui nous parviennent. Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Le talent, pour sûr, Léonard Petotte dit “Lekto” l’a. Un trait réaliste, efficace, sarcastique, qui plante le décor d’entrée de jeu. Mais au service de quel message ? 

C’est la question que pose son procès à la Cour d’Appel de Nîmes, ce jeudi 4 avril. Le graffeur y comparaît pour “injure publique” et “provocation publique à la discrimination” en raison de la religion pour une fresque murale réalisée en 2022 à Avignon. 

Sur ce dessin monumental intitulé “La Bête 2 l’événement”, une scène de théâtre à rideaux ouverts sur laquelle Emmanuel Macron, grimé en Pinocchio apparaît manipulé par l’économiste Jacques Attali. Ce dernier s’est porté partie civile aux côtés du parquet et de cinq autres associations notamment SOS Racisme, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et l’Organisation juive européenne (OJE) qui perçoivent, dans cette fresque, des codes antisémites. En cause notamment, la représentation imposante de Jacques Attali en marionnettiste.

AINSI FONT LES MARIONNETTES

Lekto a été relaxé au tribunal d’Avignon en septembre dernier. Devant la Cour d’appel de Nîmes, l’ambiance est autrement plus tendue qu’en première instance. Le graffeur se montre agacé par les questions du tribunal et de la partie civile. Cheveux et barbe rousse, il se traîne à la barre, s’époumone à répéter une défense qu’il persiste et signe : sa fresque n’est rien de plus qu’une “satire politique, sociale et médiatique” et “n’a rien à voir avec la religion” de Jacques Attali. Elle critique, insiste-t-il, son influence politique supposée sur le chef de l’Etat. 

Quand la Cour l’interroge sur ses intentions et ses inspirations, le graffeur cite le souvenir d’une visite au musée d’Orsay et la découverte du travail d’Honoré Daumier. Ce  précurseur de la caricature de presse au XIXème siècle est connu notamment pour sa critique du roi Louis Philippe. “Je me suis promis que dès lors que mon niveau me le permettrait, je m’inscrirai dans cette tradition de critique du pouvoir”  raconte le prévenu. 

Les avocats de la partie civile ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, cette fresque relève bel et bien de la caricature raciste et le préjugé du juif manipulant le monde y est flagrant.  Lekto connaît les codes de la caricature d’Honoré Daumier mais pas ceux de l’iconographie du complot juif, s’interroge Maître Bonan, avocat de Jacques Attali ? N’est-il jamais tombé sur les images de propagande du IIIème Reich ou du régime de Vichy

Ce n’est pas qu’un poncif antisémite que de mettre des marionnettes. Il y en avait avant” rétorque l’artiste citant une caricature supposée de Louis Philippe en marionnettiste de l’Assemblée nationale.  À ce jour, nous n’avons pas pu retrouver à quelle œuvre précise il faisait référence. 

D’une même voix, les avocats de la partie civile campent les relents complotistes du prévenu et de son oeuvre largement ancrée dans une vision défiante de l’actualité et des pouvoirs publics. Entre autres fresques de visages connus, on retrouve à la fois des figures obsessionnelles de la complosphère comme le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab, et le journaliste de France Info Julien Pain ; ou, à l’inverse des personnalités encensées, comme le chanteur Francis Lalanne ou le rappeur Freeze Corleone. “Or l’antisémitisme, plaide l’avocate de l’OJE, est l’essence même de la sphère complotiste.” 

Les témoins cités par la Licra viennent décortiquer la fresque en ce sens. Pour Joël Kotek, historien de la caricature, des éléments de la fresque installent le spectre d’un “complot judéo-maçonnique” orchestré par Jacques Attali. 

Cette théorie, née aux abords de la Révolution française, se répand jusqu’à aujourd’hui comme une traînée de poudre dans les milieux conspirationnistes. Elle soutient qu’une collusion entre juifs et franc-maçons s’entendrait pour asseoir leur domination sur la société. Sur le dessin, l’historien cible notamment la voûte céleste et les gants blancs, deux motifs associés aux francs-maçons. 

Lekto avait-il ces notions en tête lorsqu’il composait sa fresque ? Ferait-on le procès de son ignorance ? Sur la défensive, le graffeur s’indigne d’une telle lecture. Il convoque des références plus populaires : “Macron est représenté en Pinocchio du film de Walt Disney. Et Jacques Attali c’est Gepetto. Quant aux gants blancs, c’est un clin d’œil au personnage de Mickey.

“VOUS ÊTES UN CENSEUR, MONSIEUR !”

Mais alors pourquoi Jacques Attali ? Les débats de l’audience interrogent précisément cette question. À quoi renvoie la personne même de l’économiste dans le débat public ? Sa religion, de notoriété publique, reste fréquemment instrumentalisée au service du discours antisémite. Le graffeur a beau prétendre qu’il ne connaissait pas sa confession avant d’être poursuivi : comment a-t-il pu passer à côté d’une telle information, lui qui prétend suivre l’actualité ? 

L’intervention d’Emmanuel Debono pour la Licra vient achever l’argumentaire de la partie civile : non seulement la religion de Jacques Attali est de notoriété publique mais “sa personne est un trope antisémite qui parle aux initiés« . Il expose, à titre comparatif, un montage publié sur le site d’extrême droite Egalité et Réconciliation dans lequel trois personnalités juives dont Jacques Attali apparaissent dans l’ombre d’un Emmanuel Macron triomphant. 

Du reste, conclut maître Cyril Bonan, cette fresque résulte d’un subterfuge antisémite profondément insidieux : puisque la loi condamne désormais les préjugés traditionnellement rattachés à la judéité comme le nez ou les mains crochus, « alors l’antisémite s’adapte en modifiant cette représentation. Jacques Attali n’est, ici, rien d’autre que le Juif référentiel.

« La personne de Jacques Attali est un trope antisémite qui parle aux initiés  » explique l’historien Emmanuel Debono

Ces analyses ont déplu à l’avocat de Lekto qui dénonce “un procès de la liberté d’expression”. Il faut dire que Maître Emmanuel Ludot est coutumier des clients aux propos insidieux ou incitatifs à la haine. Il a notamment défendu le chanteur Francis Lalanne et l’ancien humoriste Dieudonné. 

Durant l’audience, il se montre particulièrement agressif face aux témoins “Vous êtes un censeur, Monsieur” lâche-t-il à Joël Kotek. Le ton se durcit quand ce dernier lui rétorque la réputation de sa clientèle. Le procès s’emballe. La présidente du tribunal menace de suspendre l’audience. « Estimez-vous que toute caricature de Jacques Attali est antisémite ? tente une dernière fois, Maître Ludot à Joël Kotek. Réponse de l’historien : “Non, cela dépend de la manière de l’amener (…) Mais le dessin de Lekto, est pour sûr, antisémite.”

Maître Ludot ne s’est pas non plus encombré de témoins. Il défend la nullité des plaintes et balaye l’argumentaire des parties civiles. Jacques Attali “n’est pas le boulanger du coin” ironise-t-il. S’il est critiqué par son client, c’est seulement en tant que haut fonctionnaire de l’Etat qui se serait lui-même vanté d’avoir formé Emmanuel Macron. Contre la censure, il plaide “le droit de se moquer de Jacques Attali et de son égo surdimensionné”.

Cette défense n’a pas suffi à convaincre l’avocat général. Monsieur Baboulène a demandé la condamnation de Lekto et une amende 6000 euros pour une  fresque qui procède d’une intention “nauséabonde” et non “d’un débat d’intérêt général” comme pourrait l’initier, selon lui, un artiste engagé. 

C’est pourtant la posture dont se targue le graffeur. Mais au fil de l’audience, celle-ci apparaît moins comme une conviction profonde que comme un paravent utile. Au-delà d’une défense de principe de sa fresque, Lekto peine à énoncer une critique politique réfléchie ou aboutie. Il n’hésite pas, en revanche, à se présenter comme un incompris, victime au mieux d’un grand malentendu sinon d’une instrumentalisation organisée pour “créer de l’antisémitisme”. Une complainte malvenue au regard des accusations qui le visent. 

Le délibéré est rendu le 7 mai prochain. 

Perla Msika

La Perle