À partir de 1860, l’Asie de l’Est est en proie à des bouleversements socio-historiques majeurs. Certains quittent la région pour la France. Entre intégration et préjugés, récit d’une exode méconnue au Musée national de l’Histoire de l’immigration.
Ceux qui ont tout quitté pour tout recommencer se retrouvent généralement face à eux-mêmes, et conjuguent intégration et réappropriation de leur identité, dans un endroit où être “chinois” rime avec silence, travail et docilité.
En France, l’immigration reste un sujet récurrent, délicat et contemporain. Elle est généralement surmédiatisée et utilisée comme pivot pour aborder des thématiques qui clivent l’opinion publique. Reste que celles venant d’Asie concentrent moins le débat médiatique. Probablement pour des raisons de distance. Plus un lieu est éloigné, moins il nous intéresse, moins il nous concerne, même s’il vient à nous.
L’IMMIGRATION ASIATIQUE À L’ÉPREUVE DES PRÉJUGÉS
Un des buts de l’exposition « Immigrations Est et Sud-Est asiatiques depuis 1860 » en cours au Musée de l’Histoire de l’immigration est de mieux comprendre et connaître les individus qui rejoignent la métropole. De dissiper les amalgames et de singulariser les parcours.
Elle tient ainsi à mettre en avant les personnalités qu’on oublie à force de regrouper l’histoire de chacun via des termes génériques et réducteurs comme « boat people » (en référence aux premiers réfugiés vietnamiens, venus dans des bateaux de fortune), « chinois », ou le fameux « péril jaune », cette thèse complotiste renvoyant à la domination des peuples asiatiques sur les Blancs). Des qualifications qui datent de 1895 à 1975 et traversent les époques en modifiant leur forme sans pour autant perdre leur sens.
METTRE DES VISAGES SUR DES DIASPORAS
Au fil de la visite, de nombreux portraits photos, des objets à valeur sentimentale, des témoignages et des récits sous tous les formats apportent vie et substance à la masse migratoire, telle qu’on a l’habitude de la percevoir : générale et anonymisée. Chaque personne a une expérience différente de l’arrivée en France.
Par exemple, Hàm Nghi, un empereur vietnamien né en 1881 est réduit au titre de « prince » et exilé en Algérie après s’être opposé aux Français pendant la colonisation de l’Indochine. Il vit là-bas jusqu’à sa mort selon les codes français jusque dans son apprentissage et sa pratique des arts, notamment de la peinture.
Mention au récit de cette femme passée par les centres d’accueil (CAFI) qui raconte la difficultés à vivre dans ces établissements censés aider les familles migrantes asiatiques à se loger, une fois qu’ils ont acquis la nationalité française. Faute d’efficacité, ce système garde parfois les familles plusieurs mois. Il arrive même qu’elles soient séparées.
Enfin, une jeune étudiante chinoise explique son quotidien dans le pays et les chocs culturels les plus marquants, ainsi que les discriminations qu’elle subit au travail et lors de ses démarches administratives.
« Photos, objets et témoignages apportent de la substance à la « masse migratoire » qu’on a l’habitude de percevoir »
Ces parcours font état de la difficulté d’être en France, mais pas uniquement. Ils soulignent la diversité des profils et l’espoir qui nourrit les efforts et les progrès de tous dans les échelons des processus d’intégration. Ceux exigés par la France via le système administratif mis en place, et ceux fixés par les migrants eux-mêmes dans leur vie personnelle.
DES VOIX FRANCO-ASIATIQUE QUI ÉMERGENT
En 2019, selon l’Insee, on compte 37 000 descendants d’immigrés chinois et 153 000 descendants directs d’au moins un parent né dans l’ex-Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos). Suite à l’apparition du Covid-19, une montée de racisme se fait ressentir dans le monde et dans l’Hexagone. Avant cela, on pense aux deux meurtres qui ont choqué la diaspora chinoise : celui de Zhang Chaolin, en 2016 dont la circonstance aggravante de racisme a été retenue ; et celui de Liu Shaoyao, tué en 2017 par un policier. Pour cette affaire en revanche, la justice a prononcé un non-lieu au nom de la légitime défense. La famille, elle réfute cette version.
C’est dans ce contexte que se développent des actions de lutte contre ces violences policières, le racisme et où s’organisent des mouvements de soutien. C’est ce que montre la dernière partie de l’exposition, consacrée à ce regroupement et à ce qu’il engendre.
Petit à petit des mots sont posés sur ce qui était autrefois tu et participe à l’affirmation des Chinois, Japonais, Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens de France. La nouvelle génération, en pleine expansion dévoilent des projets de toutes sortes autour de ces thématiques : magazines dédiés aux cultures asiatiques, apparition de personnalités publiques (chanteurs, youtubeurs, cuisiniers, historiens…) : leurs existences n’effacent pas les épreuves de l’immigration mais laissent penser qu’elles en ont valu la peine.
Louise Oh
La Perle
« Immigrations est et sud-est asiatiques depuis 1860 »
Du 10 octobre 2023 au 18 février 2024
Palais de la Porte Dorée – Musée de l’Histoire de l’immigration
293 avenue Daumesnil 75012 Paris