Le titre de l’exposition « Le fil de la mémoire et autres photographies » porte bien son nom. A travers son parcours, l’Histoire et la mémoire de Dinh Q. Lê se déroulent et transportent le spectateur au cœur du Musée du Quai Branly.
LE TISSAGE DE L’HISTOIRE
Un titre lié également à la technique propre à l’artiste : le tissage de photographie ; procédé original que celui-ci a appris au cours de son enfance. Il raconte que sa tante tressait les nattes. Dinh Q. Lê tresse des photographies. L’artiste souligne que le tissage permet d’insérer d’autres récits, l’enjeu étant de « savoir ce que je veux cacher, dissimuler ou mélanger des images », explique-t-il. Cette technique de création originale se construit donc en réaction aux images. Le choix de l’artiste est centré sur le regard et l’impact que celui-ci peut avoir sur le spectateur. Chacun ayant un parcours visuel propre, il laisse la possibilité aux lectures multiples.
Dans sa série « Splendor and Darkness » de 2017 Dinh Q. Lê mêle des images du temple d’Angkor et des victimes du génocide perpétré par les Khmers rouges ( 1975 – 1979 ). À travers les monuments, temples de la mémoire, il révèle également l’obscurité de l’Histoire. Le choix du cyanotype – procédé photographique par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu – et de pièces pas entièrement tissées révèlent aussi une volonté commémorative de l’artiste.
Dans une autre œuvre, plus sculpturale, Air Drift in Darkness, trois roches flottent dans la salle d’exposition. Le titre renvoie à un bateau à la dérive, corroboré par les photographies de migrants. La structure, issue d’un travail se rapprochant de la vannerie contemporaine japonaise, permet une grande liberté de forme. Le travail de tissage est d’une grande complexité et la lumière éclaire des milliers de visages, ceux des manifestants du monde entier.
LA RÉAPPROPRIATION DE L’IMAGE DU VIETNAM
Ce n’est pas sans rappeler l’œuvre exposée, en 2021, au Musée du Quai Branly lors de l’exposition « A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses ». C’est, en effet, du même fonds photographique que l’artiste a choisi ces images. Ce fonds, essentiellement composé de photographies des années 1940 à 1970, est immense (et lourd ! Le transport de 180 kilos de photographies n’est pas chose aisée). Dans une recherche aussi personnelle qu’historique, Dinh Q. Lê présente ces photos dans une quête de mémoire. De son enfance au Vietnam, il ne lui reste pas grand-chose. Car, le départ précipité et violent laisse derrière lui tous les souvenirs de la famille.
S’illustre aussi une réelle volonté de donner un autre récit grâce à ces photographies : en assumant un désir de détruire les images laissées par la guerre, il travaille sur ce rapport complexe qu’entretiennent les médias et l’Etat vietnamien depuis les années 1970.
Dans la série « From Vietnam to Hollywood » de 2003-2004, l’artiste choisit des images célèbres de films hollywoodien et les tisse avec des photographies frappantes de la guerre. Le tissage révèle ainsi un certain équilibre entre le bien et le mal à travers le choix de symboles forts. Comme souvent dans les œuvres de l’artiste, les lectures sont donc ambivalentes : par exemple, l’usage de la couleur orange rappelle à la fois les couchers de soleil hollywoodiens et l’utilisation de l’agent orange – herbicide coloré répandu par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam.
Entre prise de parole mémorielle et une poésie illustrée, cette exposition témoigne, donc, aussi bien de questions récurrentes de l’œuvre de Dinh Q. Lê que d’un enjeu universel : comment restituer l’Histoire dans toute sa complexité.