À l’heure où les préoccupations écologiques enjoignent à utiliser davantage de bois dans les projets de construction, l’exposition de la Maison de la Culture du Japon (MCJP) apporte la preuve que l’archipel nippon a plus d’un temps d’avance sur ces questions : tant du point de vue de l’architecture que de la gestion durable des forêts. Recette en trois étapes.
Qu’entend-on par « construction en bois » ? Que le terme vous évoque un chalet de montagne, un immeuble bas-carbone ou un château de kapla, l’image renvoie à une construction élémentaire, basique, simple superposition de lattes monotones. C’était sans compter sur les charpentiers japonais. À la Maison de la Culture du Japon, une exposition immersive leur est dédiée. Elle rend compte de la complexité d’un artisanat millénaire, précurseur des considérations écologiques.
FAIRE POUSSER LE BOIS
En réalité, le métier de charpenterie commence en amont de ces questions de construction. Les japonais sont, depuis longtemps, passés maîtres dans la connaissance des essences et de leurs spécificités. Ainsi, tout projet d’édifice en bois – et l’exposition de la MCJP- débute par un voyage olfactif : cyprès, cerisier, tsuga, pin rouge…chaque espèce dégage une senteur qui lui est propre. Bien que l’odeur n’influe pas nécessairement sur l’utilisation du bois, d’autres caractéristiques jouent un rôle prépondérant.
Parmi elles, citons par exemple la résistance à l’humidité du châtaignier ou encore le caractère à la fois tendre et robuste des résineux tels que le cèdre, connu pour pousser vite sous la pluie japonaise. C’est bel et bien dans la forêt que doit s’amorcer notre travail de charpentier !
En véritable sylviculteur, il faudra veiller à éliminer les branches et les feuilles superflues afin de favoriser une croissance lente, gage de résistance du matériau. De même, éviter les zones d’ombres assurera un développement vertical sans forme tortueuse, idéal pour travailler le bois. Forts de ces informations, les charpentiers en herbe que nous sommes peuvent maintenant s’atteler à l’apprentissage des techniques de construction !
TECHNIQUES DE CONSTRUCTION
La tâche n’est pas aisée : avec un attirail de quelque 149 outils, le charpentier japonais est un expert à la fois habile, méticuleux et ingénieux. Les instruments de mesure, qu’il faut être capable de fabriquer soi-même, nous serviront à l’élaboration de plans et gabarits de taille réelle, comme ceux de Nishioka, maître charpentier respecté à qui était confiée la construction de temples et dont quelques productions sont exposées au cours de la visite.
En cas de talent dans l’utilisation du rabot, cette lame en métal qui permet d’aplanir le boison pourra penser à participer à un concours d’épaisseur de copeaux. Enfin, le compas sert à reporter sur les poteaux le relief du site de construction afin d’adapter l’édifice à son environnement, conformément à l’éthique japonaise.
Pour ce qui est de l’assemblage, les méthodes les plus utilisées sont le Kigumi ou le Kama-Tsugi, deux techniques de menuiserie qui connectent les différents éléments respectivement par des cordes et par un emboîtement dans la longueur. Une fois la technique maîtrisée et le chantier lancé, on n’oubliera pas de célébrer les étapes cruciales de la construction par une cérémonie, en costume traditionnel !
LE CHARPENTIER : ARTISAN OU ARTISTE ?
Le charpentier est un artisan, mais il n’en est pas moins un esthète. C’est au cours de l’ère Edo (1603-1868) qu’émerge au Japon une sensibilité accrue pour certaines esthétiques de construction. En particulier, l’idée que les formes devraient s’emboîter parfaitement, et que l’assemblage ne doit pas se voir de l’extérieur. L’idée imprègne fortement les œuvres réalisées à partir du XVIIème siècle.
Les charpentes, baies et chapiteaux sont d’une technicité audacieuse, mais cette dernière doit se dissimuler à l’intérieur des assemblages, ou derrière des cache-clous, qui deviennent rapidement des supports de fantaisie. L’emboîtement harmonieux des surfaces, qu’elles soient planes ou courbes, nécessite une haute précision qui se traduit par une absence totale de vide.
« La charpenterie japonaise est marquée par une dualité entre finesse et robustesse. »
Cette recherche de perfection dans la finition ne signifie pas pour autant que l’esthétique prime sur la robustesse : la charpenterie japonaise est marquée par une dualité physique entre la résistance de l’assemblage, réelle mais cachée, et la délicatesse du rendu. Il s’agit véritablement d’un art de la dissimulation.
En atteste la réplique grandeur nature de l’ossature du pavillon de thé Sa-an du complexe Daitoku-ki de Kyoto. À l’intérieur, tout est leurre, tout est astuce pour accorder plus de place à la décoration et faire du salon un lieu de vie à l’apparence gracile mais en réalité protégé des potentielles attaques extérieures, courantes au XVIIème siècle.
C’est là que réside le message principal : pour devenir charpentier japonais, il faut, au préalable, s’imprégner de cette conception duale de l’architecture, entre technique et esthétique, robustesse et finesse, intérieur et extérieur. Il faut faire sienne l’idée que la charpenterie, intervention humaine sur un matériau naturel, n’a de sens que si elle s’intègre respectueusement dans son environnement.
Souhaitons que cette philosophie inspire les constructions européennes futures et participe à construire un futur plus en phase avec la biodiversité. Sinon, nous ne sommes pas sortis du bois.
Eva Savidan
La Perle
« L’art des charpentiers japonais :
au cœur de l’architecture en bois traditionnelle »
Du 18 octobre 2023 au 27 janvier 2024
Maison de la Culture du Japon
101 bis Quai Jacques Chirac 75015 Paris
www.mcjp.fr
Instagram : @mcjp_officiel