Fondation Pernod Ricard : Et si l’on sentait les œuvres ?

Retour sur l’exposition “Décharge” de Morgan Courtois. Tournée vers la création émergente, la fondation a offert la première exposition personnelle de l’artiste. Tel un paysage chaotique, comme celui d’une décharge, le spectateur déambule à travers des souvenirs visuels et olfactifs.

La décharge est un lieu qui accueille les décombres des hommes. Dans une dimension plus corporelle, la décharge peut désigner toutes formes de sécrétions émises par le corps. L’espace de l’exposition veut peut-être accueillir les décombres de l’artiste.
Crédit photo : Aurélien Mole.

Avec « Décharge », la fondation Pernod-Ricard laisse le spectateur perplexe. Le titre de l’exposition, proposée par l’artiste Morgan Courtois, est énigmatique, il créé des horizons d’attentes différentes, selon la compréhension que chacun fait du terme polysémique de « décharge ». La décharge est un lieu qui accueille les décombres des hommes. Il est aussi possible de comprendre la décharge, non pas au sens de paysage mais d’énergie, comme une décharge électrique, par exemple. Dans une dimension plus corporelle, la décharge peut désigner toutes formes de sécrétions émises par le corps. L’espace de l’exposition veut peut-être accueillir les décombres de l’artiste. En effet, la scénographie dépouillée et chaotique offre à la vue du spectateur un ensemble de flacons et bouteilles, en porcelaine non émaillés, posés au sol et contenant des fleurs. Le parcours de l’exposition se poursuit dans une seconde pièce, qui dispose les œuvres de l’artiste sur des tables qu’il a lui-même créées. L’accent est mis sur son travail de la porcelaine et de la sculpture.

UNE EXPO COMME UN UN PARFUM : ENVOÛTEMENT ET CONFUSION DE SENS

La force de cette exposition est de proposer au spectateur une expérience olfactive. Un grand nombre de fleurs sont disposées dans différents flacons et dégagent des odeurs très différentes. Des chemises sont éparpillées dans la pièce et émettent des odeurs, tout comme les plâtres. Ces objets parfumés sont pensés à partir des odeurs du corps et conçus à partir de molécules synthétiques abstraites. L’artiste insiste sur la question des sens dans son travail, dans lequel l’odorat tient une place essentielle. Il parle de la création de cette exposition comme de celle d’un parfum. Les odeurs s’accumulent et se pensent à l’échelle de l’espace. Elles font partie intégrante de l’œuvre et se lient à la question du souvenir. L’artiste a collectionné, au fil des années, des bouteilles d’alcool et de parfum. Ces deux objets pouvant être associés à une idée de luxure et d’extravagance, ils apportent à la dimension symbolique de l’œuvre. Le spectateur entre alors dans les souvenirs de l’artiste à travers ce qu’évoquent les odeurs – sans doute celle de ses longues nuits d’amour et d’ivresse. Ces objets sont donc le reflet des désirs de l’artiste ; ils se présentent comme une trace olfactive de ses souvenirs. 

“CES OBJETS SONT LE REFLET DES DÉSIRS DE L’ARTISTE ; ILS SE PRÉSENTENT COMME UNE TRACE OLFACTIVE DE SES SOUVENIRS.”

Crédit photo : Aurélien Mole.

POUSSER LES MATÉRIAUX DANS LEURS RETRANCHEMENTS

La question du matériau occupe une place importante dans l’œuvre de Morgan Courtois. L’artiste est diplômé de l’École supérieure d’Art et de design de Valenciennes et de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon. Il a été résident à la Rijksakademie à Amsterdam entre 2018 et 2020, période durant laquelle il a renoué avec le travail de la céramique et de la porcelaine, en utilisant des fours et techniques uniques. Il profite de cette résidence pour expérimenter et explorer les possibilités que lui offrent la matière. L’artiste parle également de son travail comme d’une « recherche de l’accident », il conserve des vases qui ont eu des problèmes au four, lors de la cuisson et ne les jette pas. Au contraire, il réutilise tout et surtout ne masque rien à son spectateur. Il se place dans une démarche où il souhaite exposer ses recherches, ses tâtonnements, ses erreurs, aux yeux du regardeur, bien que l’œuvre ne soit pas aboutie, comme le montre par exemple l’œuvre Evrything involved, lost structures. Dans l’œuvre de Morgan Courtois, les matériaux sont des moyens pour l’artiste, de transmission d’émotions au spectateur, il cherche à provoquer le frisson et à rendre palpable les sensations. 

Un grand nombre de fleurs sont disposées dans différents flacons et dégagent des odeurs très différentes.
Crédit photo : Aurélien Mole.

DES LIENS FÉCONDS AVEC L’HISTOIRE DE L’ART

L’artiste souhaite évoquer esthétiquement la (dés)organisation à travers la pensée de cette exposition et de ses œuvres. Bien qu’il s’ancre dans un travail qui répond aux enjeux de l’art contemporain, il est possible de voir dans les recherches actuelles de l’artiste, un héritage de l’Histoire de l’art traditionnelle. Par exemple, l’idée d’organisation et de désorganisation recoupe les débats artistiques qui ont marqué le XVIIème siècle dans l’opposition entre le baroque et le classicisme. De la même façon, le langage artistique utilisé par l’artiste puise ses sources dans l’Antiquité. De nombreuses œuvres représentent des cygnes et font remonter à l’esprit du spectateur dès œuvres liées à l’iconographie des amours de Zeus, comme le mythe de Léda, femme séduite par Zeus, transformé en cygne. La présence répétée de lys et de narcisses dans les compositions florales est aussi un choix symbolique, en lien avec l’Histoire de l’art. Le lys, dont l’artiste parle comme « d’une majesté écœurante », entretient un lien fort avec l’image de la Vierge. Morgan Courtois a également fortement été marqué par la statuaire grecque, influence que l’on peut ressentir à travers ses sculptures. 

L’ensemble de cette exposition est donc une expérience. Le spectateur entre dans l’univers symbolique de Morgan Courtois par la découverte de ce qui constitue, pour lui, une source d’énergie, de décharge possible constituant son propre paysage mental de décombres, qu’il exprime à travers son art, lieu duquel il est possible se libérer.

La Perle

Exposition “ Décharge“ de Morgan Courtois
Du 8 février au 26 mars 2022
Fondation Pernod-Ricard
1 Cr Paul Ricard 75008 Paris
Instagram : @fondationpernodricard