Au musée de Cluny, voyage dans le cristal entre Orient et Occident

Quoi de plus contagieux qu’une fascination ? Au Moyen-Âge, le très mystérieux cristal franchit des frontières géographiques et symboliques qu’on croyait infranchissables. Entre Orient et Occident, divin et profane, le matériau est toujours utilisé dans un même but : créer des merveilles.

Les œuvres en cristal de roche exposées au musée sont le fait d’assemblages hétéroclites. Photo : Reliquaire figurant le prophète Philon d’Alexandrie, vers 1390. Crédits : Stephan Kube, Greven

Comment parler justement d’un matériau aussi fantasmé que le cristal de roche ? C’est le défi auquel s’attelle le musée de Cluny à travers sa dernière exposition, « Voyage dans le cristal ». Jusqu’au 14 janvier, les conservateurs font dialoguer des objets d’horizons variés, tous réalisés dans ce matériau unique, pour mieux nous conter un phénomène de fascination qui n’a connu aucune frontière. À la clé : un Moyen-Âge loin des clichés, où Orient et Occident sont unis par un même goût de la merveille et de l’exploit artistique.

« UNE EAU GELÉE »

C’est au cœur du frigidarium, grande salle antique du musée de Cluny, que le visiteur est accueilli par une série de grands cristaux provenant des quatre coins du globe. Les pierres sont mises en relation avec les premiers écrits antiques sur le cristal. « C’est une forte congélation qui le condense ; du moins ne le trouve-t-on que là où les neiges d’hiver sont les plus glacées » assure le savant Pline l’Ancien au Ier siècle de notre ère.

Écrite durant l’Antiquité mais lue tout au long du Moyen-Âge, cette petite phrase scelle, de l’Orient à l’Occident, le destin du cristal. Prétendue « eau gelée », la pierre devient l’objet d’une fascination croissante. Tout au long des sections thématiques, à la muséographie tour à tour feutrée ou grandiose, le visiteur découvre des chefs-d’œuvre taillés dans ce matériau.

Anneau à buste féminin, IIe siècle, Quartz, Saint-Rémy-De-Provence , Hôtel de Sade - Centre des monuments nationaux. Crédits : Gérard Bonnet / CMN
Aphrodite accroupie, Ier siècle av. J.-C, Quartz, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum. Crédits : The J. Paul Getty Museum, Villa Collection, Malibu

PIERRE DIVINE, USAGE PROFANE

Puis, c’est la surprise : beaucoup d’œuvres sont le fait d’assemblages hétéroclites. C’est le cas de l’étonnant poisson-reliquaire prêté par l’église allemande d’Emmerich, composé d’un cristal de roche égyptien, enchâssé au XIVème siècle dans une curieuse monture d’argent doré. L’exposition détaille de quelle manière, au cœur du Moyen-Âge, nobles et ecclésiastiques se procuraient des cristaux taillés en Orient dans un but profane.

Les pierres étaient ensuite transformées en reliquaires ou objets de culte, grâce à de somptueuses montures d’orfèvrerie. Certaines villes se sont même spécialisées dans la taille de ces cristaux, telle Le Caire sous la dynastie fatimide (969-1171), ou Bagdad.

À une époque où la fabrication du verre transparent n’était pas encore maîtrisée, le cristal de roche, laissant passer la lumière divine, était un matériau de choix pour refléter la gloire de Dieu et de ses saints. Les poissons, lions et bouquetins de cristal montés en reliquaires viennent subtilement questionner les idées reçues : oui, l’Orient et l’Occident dialoguent. Non, la figuration n’est pas incompatible avec l’art islamique.

Coffret-reliquaire, Vers 1200, France du Nord (?), Cristal de roche taillé : Égypte, Xe siècle. Crédits : RMN Grand Palais

« Les pierres sont transformées en  objets de culte, grâce à de somptueuses montures d’orfèvrerie. »

L’exposition ne manque pas de s’intéresser aussi aux objets profanes, et de souligner le rôle du monde islamique dans la diffusion du jeu d’échecs, d’origine indienne, jusqu’en Occident. Le visiteur découvre comment sont échangées, dès l’époque de Charlemagne, des pièces d’échecs, certaines en cristal de roche.

Par-delà les différences culturelles et religieuses, le goût pour le jeu et la somptuosité des objets unissent les hommes du Moyen Age. C’est encore une nouvelle idée reçue qui est bousculée.

AU-DELÀ DU MOYEN-ÂGE…

Le musée a choisi de dépasser le cadre chronologique médiéval, et prouve ainsi que la fascination pour le cristal reste intacte par-delà les siècles : un talisman de six centimètres, réalisé en Iran au XVIIIème siècle, arbore gravée une sourate entière du Coran.

Présenté pour la troisième fois au public après sa donation au musée du Louvre par l’historien Gabriel Gros-Martinez, ce minuscule objet montre la continuité du goût pour le cristal et la persistance d’une curiosité savante, de l’Orient des temps modernes à l’Occident contemporain.

Deux ans après les expositions de région « Art de l’Islam un passé pour un présent » menées par le Musée du Louvre, « Voyage dans le cristal » réveille l’intérêt pour les arts de l’Islam, en révélant avec subtilité les liens puissants tissés entre l’Orient et l’Occident grâce au cristal de roche.

Polissoir XVIIIe -XIXe siècles, Cristal de roche, doré, gravé. Crédits : Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Représentation de crâne humain, XIXe siècle, Cristal de roche. Crédits : musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Valérie Torre

Dans un propos à la fois élargi et condensé, l’exposition insiste particulièrement sur la dimension internationale, quasi déjà mondialisée, d’un matériau qui n’a cessé de fasciner les artistes.

A l’heure où le Musée du Louvre prépare l’ouverture d’un département dédié à l’art byzantin et réfléchit au dialogue de ses collections par-delà les frontières géographiques, le musée de Cluny offre une intéressante contribution au débat… tout en bousculant notre vision commune du Moyen-Âge.

Marie Vuillemin

La Perle

Exposition « Voyage dans le cristal »
Du 26 septembre 2023 au 14 janvier 2024

Musée du Moyen-Âge, musée de Cluny
28, rue Du Sommerard 75005 Paris

musee-moyenage.fr
Instagram : @museecluny