Au musée du Quai Branly, des artistes en transe chamanique

Le Quai Branly creuse une exposition immersive et colorée autour d’une pratique chamanique millénaire d’Amazonie. Le breuvage d’une plante permet d’avoir des visions hallucinogènes qui a inspiré des artistes du XXème siècle. 

L'expérience de l'ayahuasca inspire tant les populations locales d'Amazonie que les artistes occidentaux.Crédits photo : salle d'exposition, Alexandra Beraldin

Au musée du Quai Branly, l’exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne » raconte comment une plante hallucinogène, consommée lors de rituels chamaniques, est devenue une source de création artistique. Visionnaire tant pour les populations locales que dans le monde artistique occidental, elle est à l’origine d’oeuvres saisissantes. Un croisement de cultures et d’interprétations jusqu’au 26 mai 2024.

Mais qu’est ce que l’ayahuasca ? Une boisson fabriquée à partir d’un mélange de plantes qui provoquent des « visions ». Souvent associée à la contre-culture des années 1960, cette pratique trouve ses racines dans les traditions des peuples d’Amazonie où elle est utilisée par les chamans pour interpréter le monde et guérir ses maux.

Bien plus que d’être un simple psychotrope auquel elle est souvent réduite en Occident, l’ayahuasca prétend, dans les cultures amazoniennes, donner accès à des rencontres privilégiées avec l’altérité des esprits, des animaux et des plantes.

Jarre, terre cuite peinte, collection privée. Crédits photo :Pauline Guyon
Chonon Bensho, "Moatian jonibo", 2022, Crédits photo : Alexandra Beraldin

NAISSANCE D'UN ART VISIONNAIRE

Dans la communauté Shipibo-Konibo d’Amazonie péruvienne, la consommation d’ayahuasca permet de visualiser des motifs géométriques appelés « kené ». Par la suite, ces motifs sont reproduits sur le corps comme sur des tissus, des céramiques ou des bijoux.

Mais c’est seulement à partir des années 1960, que son intérêt en tant qu’art prend de l’ampleur avec le peintre Pablo Amaringo (1938-2009). Ses oeuvres représentent des scènes de prise de l’ayahuasca et intègrent des éléments de la cosmologie, de la faune, de la flore et du chamanisme local.

Grâce à lui, cette pratique devient un mouvement artistique reconnu à l’échelle internationale. Une nouvelle génération d’artistes emboîte le pas d’Amaringo. Des peintres de la communauté Shipibo-Konibo intègrent le mouvement et accèdent à la reconnaissance.

Parmi les artistes exposés, Roldan Pinedo offre dans ses tableaux des visions colorées, comme dans La Vision de l’arc-en-ciel. Le monde jaune. Cette toile reprend les motifs « kené » et les intègre à la faune et à la flore menacées de destruction.

La Vision de la femme sage et les quatre mondes  de Harry Pinedo Valera offre une saisissante représentation des quatre mondes de la culture Shipibo-Konibo où se conjuguent motifs géométriques et vie quotidienne

Emilio Zùñiga et Jheferson Saldaña, "Amarre con matapalo", 2002, Crédits photo: Alexandra Beraldin

La consommation d’ayahuasca permet de visualiser des motifs géométriques appelés « kené »

Impossible de parler de la cérémonie de l’ayahuasca sans mentionner les origines de sa diffusion dans l’imaginaire occidental. On doit cela à la Beat Generation, un courant culturel américain forgé par plusieurs écrivains. Aux Etats-Unis, ces derniers cultivent une identité de marginaux à contre-courant de la nouvelle société de consommationParmi eux, l’américain William S. Burroughs et le poète Allen Ginsberg sont rendus en Amazonie dans les années 1950 pour faire l’expérience de l’ayahuasca. À leur retour, leur récit lance une mode de création artistique sous influence et un tourisme chamanique se constitue.

Mais dans la pratique occidentale, le breuvage est souvent rattaché à des expériences psychologiques individuelles visant à mieux se connaître. Un démarche en complète opposition avec les pratiques chamaniques traditionnelles qui mettent cette expérience au service de la communauté. 

Harry Pinedo Valera/Inin Metsa, "La Vision de la femme sage et les quatre mondes", 2023, Collection Harry Pinedo Valera, Crédits photo : Alexandra Beraldin

DES EXPERIENCES SENSORIELLES

Nul besoin de voyager jusqu’en Amazonie pour comprendre ce qu’est un voyage chamanique. L’exposition permet de prendre part aux visions grâce à divers œuvres immersives. L’installation Machine à rêver de Brion Gysin joue avec les effets de lumière et la musique pour détourner la vision du public installé dans une petite boîte noire.

Les plus aventureux peuvent faire l’expérience de la réalité virtuelle grâce à l’œuvre de Jan Kounen. Kosmik Journey guide le spectateur à travers une vision inspirée par l’ayahuasca. Selon lui, il est impossible d’échapper à ces visions, car elles « attrapent » la conscience, cognitivement et émotionnellement. Des interprétations contemporaines d’une plante millénaire et extraordinaire jusqu’au 26 mai 2024.

Alexandra Beraldin

La Perle

Exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne »
Du 14 novembre 2023 au 26 mai 2024

Musée du Quai Branly
37 Quai Jacques Chirac, 75007 Paris

www.quaibranly.fr
Instagram : @quaibranly