Le vernissage de l’exposition « Claudia Andujar – la lutte Yanomami » s’est tenu au lendemain de l’International Holocaust Day. Une date choisie à dessein ? Question ouverte. Pour ma part, je ne puis admirer l’œuvre de cette femme au destin exceptionnel, sans y penser à chaque seconde.
Rien à première vue, ne nous y ferait penser. À la lumière de ses baies vitrées, la Fondation Cartier transcende les œuvres qu’elle met en scène. En l’occurrence, les photographies d’Andujar n’ont nul besoin d’être sublimées pour faire tenir le regard. Mais tout de même. A l’heure de la photo rapide, photo filtrée, photoshoppée, se voir offrir de tels clichés est un bonheur pour le visiteur.
LE PEUPLE YANOMAMI : SA FAMILLE DU BOUT DU MONDE
Revenons à notre histoire. Claudia Andujar rencontre le peuple Yanomami en 1971. Photo-journaliste installée au Brésil, c’est un reportage qui l’amène à faire la connaissance de ces Indiens d’Amazonie. Avec eux, elle entame un premier travail photographique. Avec eux, elle met à bas les bons vieux clichés de la tribu – tournant le dos au style documentaire. Après cela, elle ne les quittera plus.
Dans sa plus belle simplicité, cette « seconde famille » d’Amazonie incarne pour l’artiste, le remède tant espéré d’une douleur intime prenant racine aux confins de la Roumanie. Nous y venons donc. Née d’un père juif ashkénaze et d’une mère protestante, Claudia Andujar verra l’ensemble de sa famille paternelle partir – sans jamais revenir – pour les camps de Dachau.
Liée aux Indiens, elle décide alors d’immortaliser la vie de ceux qui l’ont accueillie comme un membre de leur famille. Curieux d’exotisme, passez votre chemin. Les clichés de l’artiste en sont l’exact contrepied. Comme un chant d’humanité, Andujar fige dans la pellicule les gestes universels d’un peuple lointain, dont on se surprend à ressembler. Une femme baillant aux corneilles, un ado vautré dans un hamac, un regard complice lors d’une fête rituelle… Loin de sa terre natale, l’artiste répond silencieusement au racisme meurtrier du vieux continent.
Pour délivrer son message, Andujar tente le tout pour le tout : expériences photographiques, techniques mixtes, supports multiples. Pellicule infrarouge ou tirage argentique, l’image mène le temps par le bout du nez : tantôt suspendu au moyen de portraits et de couleurs, tantôt disloqué au moyen de lumières et de mouvements. Aucune image ne se ressemble, et pourtant, toutes respirent la même beauté, entre songe et intimité.
PHOTOGRAPHIER POUR MIEUX LUTTER
Mais les agissements abusifs d’un gouvernement conquistador font de la fin des années 1970, le tournant politique du travail de l’artiste. Il lui faut lutter pour la conservation du territoire Yanomami face à la déforestation et à la colonisation agricole. Et si préserver ce patrimoine lui vaut le statut de persona non grata, elle initie, de ce fait, les Indiens au doux militantisme dont elle a le secret.
Son meilleur atout ? La photographie. Son plus gros fardeau ? Un passé douloureux. Très ingénieusement, elle fait œuvre des deux au travers d’une série de portraits intitulée « Marcados » : détournant la morbide numérotation des camps de la mort, elle numérote ses modèles pour ainsi les répertorier dans le cadre d’une vaste opération de vaccination. Mettre des chiffres sur des visages et des visages pour une cause.
Cette résonance politique perce en profondeur le sens premier de ces tirages. Supplantés par la densité dramatique d’une actualité brûlante, ces témoignages identitaires pétris de souvenirs émus quittent la chambre d’archives et l’album photo pour illustrer les gros titres de journaux.
Au regard du pari environnemental en jeu, l’engagement de Claudia Andujar – et de la Fondation Cartier – n’a jamais soulevé autant de monde. Pour preuve, le geste d’amitié de Davi Kopenawa, venu pour l’occasion au vernissage de la Fondation. Chaman et porte parole du peuple Yanomami, il use comme il se plaît à le dire« de l’arc et de la flèche » de la parole. Avec Andujar comme soldat et la photo comme bouclier, il ne lui reste qu’à sensibiliser le monde entier au respect de son peuple et de ses terres.