L’exposition « Julia Margaret Cameron, Capturer la beauté » au Jeu de Paume expose une centaine de tirages de cette photographe pionnière. Elle met notamment en avant les contraintes et les libertés à l’égard de la représentation des femmes au XIXème siècle. La beauté de ses tirages, à une époque pourtant restrictive pour leur condition, en font des modèles de choix.
Gros plan, un regard furtif, les sujets féminins de Julia Margaret Cameron sont baignés d’ombre et de lumière. Anglaise d’origine, Cameron (1815-1879) naît à Calcutta et vit entre l’Europe et l’Inde durant une grande partie de sa vie. Elle reçoit son premier appareil photographique à l’âge de 48 ans. Pourtant, elle s’impose rapidement comme une figure majeure de la photographie dès 1864. Exposée en France pour la première fois depuis quarante ans, les œuvres présentées au Jeu de Paume proposent une traversée dans l’art du portrait féminin.
UNE DUALITÉ FASCINANTE
Le parcours de Julia Margaret Cameron est imprégné d’une dualité fascinante et contradictoire, particulièrement pour un public contemporain. En tant que mère de famille et chrétienne dévouée, elle incarne parfaitement la norme de son époque. Cependant, elle repousse les limites des conventions photographiques de son temps. En effet, la photographie était principalement réservée à des sujets « réalistes », c’est-à-dire capturer les choses et les personnes telles qu’elles étaient perçues au quotidien.
Cameron dépasse ces conventions et se lance dans une exploration novatrice de l’art photographique. Elle innove, expérimente, et se dédie pendant un peu plus d’une décennie à capturer la beauté qu’elle voit autour d’elle. Elle capture non seulement la beauté qui l’entoure, mais projette une représentation stratifiée de ses sujets, souvent des femmes.
UN TRAVAIL DE MISE EN SCÈNE
La photographe traite souvent des figures de la Bible, de la mythologie et de la littérature. Elle adopte une approche caractérisée par la mise en scène et une grande théâtralité. Ses sujets semblent évoluer dans une véritable performance, revêtant des costumes évocateurs. Cependant, ses portraits ne cherchent pas à susciter une adoration ou une exaltation.
Comme en témoignent des œuvres telles qu’Une Sibylle à la manière de Michel-Ange (1864) ou La roseraie des jeunes filles (1868), l’art de Cameron réside dans sa capacité à diriger le regard de ses sujets vers l’intérieur. Au-delà de leurs rôles prééminents dans la composition photographique, l’utilisation du gros plan ajoute des nuances à ce que l’image raconte.
PHOTOGRAPHIER SES PROCHES
Au cours de sa carrière, Cameron photographie des célébrités de l’époque comme Charles Darwin et l’astronome John Frederick William Herschel. Mais elle n’a cessé, lorsqu’elle travaillait depuis son atelier à la maison, de photographier les femmes et enfants de son entourage : amies, nièces, femme de chambre.
Julia Margaret Cameron dit que chaque portrait exprimait « l’incarnation d’une prière » Chacun d’eux révèle quelque chose qui est mis en lumière, ainsi qu’une subtile nuance qui se dévoile au fond des yeux, telle une ombre qui traverse le regard.
Dans le portrait de Julia Jackson (1867), la mère de l’écrivaine Virginia Woolf, l’utilisation de l’éclairage et de la pose confère à son image une qualité sculpturale. Dans de nombreux autres portraits, comme L’Écho (1868), les femmes et les jeunes filles ont souvent les cheveux délaissés, longs et naturels, ajoutant une dimension intime, une projection de chaque femme dans son individualité, telle qu’elle est en dehors du cadre de la photo et du regard de la société.
« Cameron travaille sur les jeux d’ombre et de lumière »
UN REGARD SUR L'AUTRE
En 1875, la photographe s’installe à Ceylon (actuel Sri Lanka) où son activité photographique diminue, car elle n’a pas accès aux matériaux nécessaires. Lorsqu’elle photographie les habitants locaux, il est possible qu’elle ait choisi de représenter les membres de la communauté sri lankaise selon sa propre vision, en les mettant en scène, adaptant leurs vêtements selon sa vision artistique.
Ces prises de vue trouvent un autre écho aujourd’hui : à l’ère de l’Empire britannique, quel regard une femme anglaise de l’époque porte-t-elle sur des autochtones ? Un regard juste ou empreint de préjugés ?
Les photographies datant des dernières années de vie de Cameron partagent l’intensité du regard dans les visages des sujets, mais comportent également une part d’ombre du fait de leur anonymat et du point de vue colonialiste de celle qui photographie.
Julia Margaret Cameron expérimente les codes de la photographie et se sert du gros plan et d’une subtile utilisation du flou délibéré afin d’explorer un sujet au-delà de sa fonction dans le tableau.
Les photographies sélectionnées juxtaposent des sujets empruntés à la mythologie et de la bible avec une exploration approfondie du regard. Ses images sont à la fois des représentations de sujets connus et une exploration du portrait et de son potentiel. Ces jeux d’ombre et de lumière sont à découvrir jusqu’au 28 janvier 2024.
Alexandra Beraldin
La Perle
Exposition « Julia Margaret Cameron, Capturer la beauté »
du 10 octobre 2023 au 28 janvier 2024
Jeu de Paume- Paris
1 place de la Concorde
Jardin des Tuileries 75001 Paris
jeudepaume.org
Instagram : jeudepaumeparis