Comment exposer les restes humains ? Le défi du musée de Picardie

« Avec le retour de la momie », le musée de Picardie d’Amiens a élaboré un espace permanent dédié à l’exposition d’une momie de plus de 600 ans avant J-C. De fait, il prend part à l’épineuse discussion qui divise les conservateurs autour de l’exposition des restes humains dans les musées.

Setjaimengaou est actuellement présentée au cœur d’une petite salle, aménagée à part.
Crédits photo : Alice Sidoli – Musée de Picardie

Une exposition pas comme les autres, dédiée à la momie Setjaimengaou, se déroule au sous-sol du musée de Picardie. Le mois de février marquait en effet le dévoilement de la nouvelle présentation de cette jeune Égyptienne embaumée, véritable égérie de l’institution. Bilan de ce nouvel accrochage et de sa portée, dans un contexte de débat sur l’exposition des restes humains au sein des musées.

UN DÉFI ÉTHIQUE

Setjaimengaou n’avait pas quitté Amiens depuis son achat en 1839 par la Société des Antiquaires de Picardie. Son séjour en 2022 au Centre de Recherche et de Restauration des musées de France (C2RMF) a donc constitué un véritable événement. Le recours à des outils de pointe, tel un accélérateur de particules, a permis de livrer des données nouvelles et parfois surprenantes. À la clé : une datation affinée, et une meilleure connaissance du processus de momification de cette jeune femme, décédée au cours de de la XXVe dynastie (vers 664 av. J.-C).

Le départ de la momie a laissé le champ libre à Agathe Jagerschmidt-Séguin, conservatrice des collections archéologiques, pour repenser sa présentation. Comment exposer des restes humains, achetés au XIXème siècle dans une perspective encyclopédique, sans faire du visiteur un voyeur ni heurter sa sensibilité ? 

La question semble d’autant plus brûlante qu’une remise en cause de ces présentations semble agiter peu à peu le monde des musées. Le débat fait rage depuis 2004 en Argentine, où les communautés autochtones déplorent, depuis bientôt vingt ans, l’exposition des momies Incas de Llullaillaco. Il a touché l’Europe depuis 2020, année qui marquait l’arrêt de l’exposition de tout reste humain au Pitt Rivers Museum (Oxford). Chaque musée détenteur de ces restes mortels se trouve peu à peu confronté à un nouveau défi.

DES ARCHÉOLOGUES EN HERBE

Et l’équipe du musée de Picardie le relève brillamment, grâce au nouvel espace d’exposition proposé. Autrefois reléguée au fond de la galerie égyptienne, Setjaimengaou est actuellement présentée au cœur d’une petite salle, aménagée à part. Ce choix offre aux visiteurs la possibilité éthique de ne pas voir la dépouille, tout en garantissant à ceux qui le désirent l’accès à cette attraction majeure du musée. 

Une fois passé le seuil, une superposition de plaques de verre permet de présenter la momie entourée de ses sarcophages. Setjaimengaou baigne dans une atmosphère sombre qui solennise le dispositif, mais n’empêche pas les visiteurs d’observer. Des lampes de poche sont même à disposition pour scruter de plus près les cercueils

La médiation, comprenant panneaux explicatifs, livrets pour approfondir et jeux à destination des enfants, constituait un véritable enjeu sur un sujet aussi épineux. Elle est cependant réussie. La collaboration avec l’artiste Nathanaël Mikles a donné naissance à des panneaux de salles en bande dessinée, qui enrichissent le discours visuel et le détournent de l’unique momie. De voyeur, le spectateur devient un lecteur, et un observateur respectueux.

Setjaimengaou n’a pas encore livré tous ses secrets : elle a récemment passé des examens au CHU d’Amiens, qui devraient élargir encore les connaissances à son sujet. La nouvelle présentation de cette momie s’inscrit dans un processus général initié par le musée, visant à restructurer l’exposition de ses collections égyptiennes. Ces efforts globaux inspireront peut-être la future présentation d’une autre célèbre momie des Hauts-de-France : Ounnout, qui devrait réintégrer le musée des Beaux-Arts de Dunkerque pour sa future réouverture.

La Perle

« Le Retour de la Momie »
À partir du 11 février 2023 puis en exposition permanente

Musée de Picardie d’Amiens
2 rue Puvis de Chavannes 8000 Amiens

www.amiens.fr

Instagram : @museedepicardie