Auguste Rodin, une œuvre pharaonique

Le musée Rodin expose, jusqu’au 5 mars 2023, une partie de la collection d’antiquités égyptiennes du sculpteur. L’occasion de déceler, dans les formes et motifs datant d’il y a plus de 2000 ans, l’origine de la sculpture moderne.

Rodin se prend au jeu et devient féru d’Égypte. La collection qu’il initie compte, à la fin de sa vie, plus d’un millier de pièces. Crédit photo : musée Rodin.

« Plus que tout, l’Égyptien m’attire. Il est pur. L’élégance de l’esprit s’enguirlande à toutes ses œuvres. » racontait Auguste Rodin en 1914. Considéré comme l’un des précurseurs de l’art moderne au XIXème siècle, le sculpteur a puisé dans l’art antique et notamment dans l’ère égyptienne pour penser son rapport aux lignes et aux formes. Jusqu’au 5 mars, le musée Rodin expose sa collection de pièces égyptiennes pour les mettre en parallèle avec sa propre œuvre.

RODIN ET L’ÉGYPTOMANIE

Alors qu’Auguste Rodin naît à Paris en 1840, l’heure est à l’égyptomanie, cette fascination pour la culture pharaonique. La campagne d’Égypte menée par Napoléon Bonaparte dès 1798, le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion en 1822, puis l’installation de l’obélisque de Louxor sur la place de la Concorde en 1836, marquent, en effet, l’entrée de la France dans la frénésie orientaliste. Au cours du XIXème siècle, la capitale se pare de motifs égyptisants, et les artistes se plaisent à puiser dans les arts égyptiens des formules évocatrices et exotiques.

Le pays du Nil fait des émules dans tous les arts : Sarah Bernhardt, plus grande comédienne en son temps, Colette, écrivaine avant-gardiste, Charles Garnier, fameux architecte… tous, à leur manière, cèdent à l’attrait de motifs égyptiens, qui servent volontiers un art symboliste, – ce courant de la fin du XIXème siècle tourné vers les sujets mystérieux, spirituels, mélancoliques, alors en plein essor. Rodin se prend également au jeu et devient féru d’Égypte. La collection qu’il initie compte, à la fin de sa vie, plus d’un millier de pièces.

Textiles, masques funéraires, statuettes animalières ou humaines : les œuvres qu’il rassemble sont éclectiques, à l’image de sa curiosité. Loin d’adopter une posture prétentieuse vis-à-vis des œuvres qu’il collectionne, Rodin s’extasie devant la cosmogonie égyptienne et n’hésite pas à comparer les chats antiques aux « madones de nos cathédrales ».

Collection d’antiques de Rodin, Eugène Druet, vers 1913.
Collection d’antiques de Rodin, François Antoine Vizzavona, vers 1906.

Crédit photos : musée Rodin.

Le panthéon égyptien nourrit son inspiration : le Sphinx, symbole de la figure double, Osiris, le dieu des morts, et surtout Isis, déesse de la fertilité, se mettent à peupler ses œuvres. Isis, femme d’Osiris, est la mère guérisseuse, parfois représentée avec de multiples seins, renfermant en elle le « secret de sa fécondité prodigieuse » d’après les mots du poète Rainer Maria Rilke. La Jeune fille confiant son secret à Isis de Rodin aborde les thèmes de la complicité féminine, de la dualité mère – fille et du secret, exacerbés par l’enlacement des corps et la pose « de Sphinx » de la déesse.

Mais la collection de Rodin n’a pas pour fil conducteur une connaissance érudite de l’antiquité égyptienne ; le sculpteur n’est guidé que par des principes esthétiques qui lui sont propres. Il se plaît d’ailleurs à intégrer certains objets antiques à ses compositions dans des « assemblages » surprenants : femme nue sur un vase antique, figure d’Éros, divinité grecque de l’Amour, sur un pot à khôl… Rodin multiplie les rencontres apparemment fortuites entre les époques et les régions.

“LA JEUNE FILLE CONFIANT SON SECRET À ISIS EXACERBE L’ENLACEMENT DES CORPS ET LA POSE « DE SPHINX » DE LA DÉESSE.”

Jeune fille confiant son secret à Isis, ou à la Nature, ou Le Bon Génie, 1927. Crédit photo : musée Rodin.

SCULPTURE ANTIQUE, SCULPTEUR MODERNE

Au-delà des motifs, l’Égypte influence Rodin dans sa réflexion plastique, c’est-à-dire dans ses choix relatifs aux lignes, aux formes, et aux couleurs de la sculpture. L’absence de perspective, l’épuration des formes et la position frontale des œuvres d’art égyptiennes fascinent le sculpteur, qui reprend à son compte certains des procédés qu’il observe dans sa collection. 

Ces parti pris visent à procurer aux œuvres un certain hiératisme, les personnages semblant être nimbés d’une atmosphère sacrée. S’éloignant progressivement de la statuaire gréco-romaine, Rodin abandonne le contrapposto, ce poncif absolu de la sculpture classique qui stipule que les lignes formées respectivement par les hanches et les épaules doivent être obliques et inversées. Le sculpteur fait alors adopter à ses figures une posture frontale dans laquelle les lignes de force sont parallèles. Le mouvement est alors suggéré par le décalage des jambes, à la manière des figures pharaoniques qui semblent à la fois statiques et animées.

Vue de l’exposition avec L’Homme qui marche, vers 1900.
Vue de l’exposition, Balzac, vers 1898.

Crédit photos : musée Rodin.

Rodin pousse ses réflexions plastiques encore plus loin avec son Balzac, sculpture dans laquelle l’homme de lettres est représenté comme un colosse aux allures de sarcophage antique. L’artiste regrettera que son œuvre n’ait pas été reconnue pour ce qu’elle était : un véritable Sphinx moderne.

Sa rencontre avec les danseuses Loïs Fuller et Isadora Duncan le marque profondément. Les deux jeunes femmes cherchent, elles aussi, à débarrasser leurs mouvements du carcan classique et à revenir à une danse libre et calquée sur le rythme de la musique. Cette démarche incite Rodin à chercher une pureté antique plus naturelle dans sa sculpture, et à exploiter des thèmes plastiques primitifs, comme le parallèle entre le corps féminin et le vase, récurrent depuis l’Antiquité. Un abandon volontaire d’une forme d’illusion qui marque ainsi, le début de la sculpture moderne.

La Perle

Exposition “Rêve d’Égypte”
Du 18 octobre 2022 au 5 mars 2023
Musée Rodin
77 rue de Varenne 75007 Paris
www.musee-rodin.fr
Instagram : @museerodinparis