Au-delà de l’affaire Bastien Vivès, la mort de la caricature

Accusé de faire “l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité” dans ses livres, ce dessinateur a été déprogrammé du festival international de la bande-dessinée d’Angoulême. Mais Bastien Vivès se défend en convoquant le ton caricatural et transgressif de son œuvre. Alors, qui a raison ? Place à l’édito-décryptage.

ILLUSTRATION Accusé de faire l’apologie des violences sexuelles, ce dessinateur de BD a été déprogrammé du festival d’Angoulême. Crédit photo : JOËL SAGET AFP.

Dans la discorde et les murmures. Ainsi s’achève le Festival d’Angoulême. Si la rencontre internationale dédiée à la bande-dessinée s’est bien tenue du 26 au 29 janvier dernier, elle a largement pâti des retombées de l’affaire Bastien Vivès. Comme un tabou sur toutes les lèvres. « L’affaire ? » Ce dessinateur de BD à succès devait faire l’objet d’une exposition personnelle au festival. Mais accusé par des internautes et mouvements militants de faire « l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité » dans certains de ses albums, il a été déprogrammé, en décembre dernier. Depuis cette décision, deux camps s’affrontent : ceux qui s’en félicitent au nom de la morale, ceux qui dénoncent la censure de la liberté d’expression. Alors, qui a raison ?

Certaines œuvres pornographiques de Bastien Vivès comportent bien des scènes dans lesquelles les enfants sont confrontés à une sexualité exacerbée. Mais pour se défendre – de ce qui est, dans les faits, illégal en France – l’auteur convoque la caricature comme moyen de dépeindre « la naissance du sentiment amoureux et du désir » sur un ton transgressif et humoristique. Un argument légitime. Pas forcément convaincant, dans son cas. Mais légitime. 

Brandir la carte caricature est une position très claire : au nom de l’art, l’artiste exagère. Le fond, la forme, c’est à dessein qu’il dépasse les bornes. Pour dénoncer, plaisanter ou provoquer. Une ligne de (mauvaise) conduite pas vraiment compatible avec le climat ambiant de respect des vécus et des identités. 

“PISTOLETTO VEUT SORTIR L’ART DES GALERIES. DANS LES RUES DE TURIN, IL ROULE UNE GIGANTESQUE SPHÈRE DE PAPIER JOURNAL.”

Dans “Petit Paul” (2018), un album pornographique, Bastien Vivès raconte les aventure d’un petit garçon dont le pénis démesuré attise le désir des femmes.

Cette outrance thermostat second degré est pourtant inhérente à la caricature. Elle consiste même à sauter au yeux pour que le message soit transmis. Le problème, c’est que cet impératif est oublié, voire tout bonnement tué par le seul argument moral. C’est ce qui vaut, par exemple, au compte @jesuisunesorcière, l’une des détractrices de Bastien Vivès, de voir dans d’autres dessins un propos sexiste quand celui-ci est féministe : en septembre dernier, elle a fustigé la dessinatrice Coco, journaliste à Charlie Hebdo, pour avoir croqué le visage d’un prédicateur religieux en y glissant le corps d’une femme nue. Un clin d’oeil osé-olé à la révolte des femmes iraniennes contre le régime intégriste. L’intéressée y a vu une réduction accablante des femmes au rang d’objet sexuel. Fausse route… mais pavée de bonnes intentions !

Bien sûr, la morale a sa place dans le débat artistique. Qui plus est dans celui de la caricature. Plus que les limites de la liberté d’expression, elle sert aussi à établir le degré d’obsession crasse d’un auteur pour un sujet, un peuple ou une religion. Dans le cas de Vivès, il serait malhonnête de le réduire à l’étiquette « pédopornographie » quand son œuvre riche, complexe ne se limite pas au champ du porno. Sa recherche de la forme et de la belle image est indéniable. Elle ne sert pas de prétexte. D’ailleurs, ce qui entretient la zone grise se trouve surtout au-delà de ses caricatures. Sur des forums, en interviews, il énonce, sans sourciller, des fantasmes pour l’inceste et la pédophilie dans une banalisation effrayante. Tantôt troll anonyme, tantôt superstar de la BD, son blabla désinvolte relève, au mieux de l’ignorance, au pire du mépris.

Bastien Vivès fait-il preuve de mauvais goût par fascination obscène ou par simple souci d’esprit punk ? C’est maintenant à la justice de trancher : début janvier, une association de protection de l’enfance a porté plainte à son encontre pour « diffusion d’images pédopornographiques. » Au festival d’Angoulême, une table ronde dédiée à la liberté de création a été organisée. Mais aucun auteur, soutien ou détracteur, n’a accepté d’y participer, à l’exception… de Coco. La preuve qu’en s’appliquant sans détours, la censure ne convint personne. Ni les contre, ni les pour. 

Perla Msika

La Perle