Au Musée des Arts décoratifs, une vaste exposition retrace l’histoire de l’intime, du XVIIème siècle à nos jours.
Riche de nombreux objets et œuvres d’art, elle raconte comment l’intimité a évolué, au fil de la libération
des femmes et des grandes inventions, notamment les réseaux sociaux et la technologie.
Dans le hall d’entrée, un grand trou de serrure vient s’imposer. Un étrange dispositif qui invite au voyeurisme, comme si l’intimité ne pouvait qu’être épiée. L’annonce est claire : ici l’intime, en grande partie féminin, est scruté par les hommes. C’est du moins la ligne tracée par “L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux”, la dernière exposition du Musée des arts décoratifs.
Dans le bain de l'imaginaire masculin
Au XIXème siècle, la bourgeoisie naissante sépare la sphère publique et privée : Monsieur sera aux affaires, Madame à la maison. Sur une toile de Paul Delvaux, la nouvelle femme d’intérieur est à la fenêtre, mélancolique, le corps retenu à l’intérieur du foyer. Dans ces conditions, tout un imaginaire masculin naît autour de cette intimité tenue entre quatre murs.
C’est ce regard d’homme qui accompagne toute la visite : avec la généralisation de l’eau courante durant la seconde moitié du siècle, l’apparition de la salle de bain et l’invention de la baignoire en fonte crée le mystère de la femme en train de se laver. Edgar Degas les immortalise, à la peinture ou au pastel.
À l’inverse, la représenter aux toilettes est tabou. Jusqu’alors, les femmes urinaient pourtant en public grâce à de petits récipients en porcelaine, les bourdaloues. Ils portent le nom d’un prêtre qui faisait, à l’église, de trop longs sermons. Un petit bibelot bazardé par la photographe Sarah Lucas qui, au début du XXème siècle pose aux toilettes en fumant, pensive et maître de son intimité. Scandaleux et féministe ?
Intime et politique
Cette confrontation des corps et des genres s’invite jusqu’à la chambre à coucher. Le très tendancieux tableau de Jean-Honoré Fragonard, Le Verrou (1777) est l’une des pièces maîtresse de l’exposition. Dans une chambre obscure, un homme embrasse une femme tout en verrouillant la porte. La tête penchée en arrière, consent-elle à cette intimité sous le verrou ?
Consentir ou céder. Avec la sexualité, cette question militante, politique, se fait aussi une place dans les pièces d’exposition. Longtemps jugés dégradants par la société, des vibromasseurs colorés font un pied de nez à des siècles de domination masculine. Un objet de grande consommation pour les femmes éprises de liberté. Après avoir connu un usage exclusivement médical, il est commercialisé dans les années 1970 et connaît un succès international.
Du plaisir solitaire à la réconciliation ? L’artiste américaine Nan Goldin a, elle, préféré photographier des étreintes réconciliées. Dans sa série The Ballad of Sexual Dependency (1985) surgissent des images tendres où les couples enlacés dans leurs draps ouvrent le champ à une sexualité épanouie.
L’intimité en danger ?
L’exposition aborde l’intimité comme une notion en constante évolution et alerte même sur les nouveaux enjeux de notre monde ultra-connecté. Sur les murs, les influenceurs les plus instagrammables du moment se livrent sur leur rapport à l’intimité. Sont-ils prêts à tout commercialiser ? La réflexion invite les visiteurs à s’interroger.
Une autre menace proviendrait de la surveillance généralisée. Le magnifique masque Incognito (2019) de la designer Ewa Nowak fait acte de résistance. Une fois porté, il perturbe les traits saillants de votre visage et empêche son identification par des logiciels de reconnaissance.
L’exposition riche, présente l’intimité comme un droit durement acquis et la modernité comme un pari à double tranchant. Dans la chambre à coucher, les réseaux sociaux et la surveillance pourraient bien peser sur nos jardins secrets. Quitte à oublier qu’en définitive, l’intimité a d’abord besoin d’ombre pour courir en liberté.
Jonas Maroko
La Perle
« L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux »
Du 15 octobre 2024 au 30 mars 2025
Musée des arts Décoratifs
104 rue de rivoli 75001 Paris
madparis.fr
Instagram : @madparis