À la Fondation Cartier, des athlètes aux pieds d’argile

L’artiste américain Matthew Barney prétexte son passé de sportif pour nous entrainer dans une intense réflexion 
philosophique sur notre condition d’être humain. Avec les muscles et les méninges.

La fondation Cartier expose les nouvelles oeuvres de l’artiste américain Matthew Barney. Avec une sculpture, un film et une performance, l’exposition « Secondary » fait office de testament pour cet ancien footballeur américain. L’entraînement sportif y apparaît comme une lutte contre la mort.

REMODELER LA TERRE

Aussitôt entré dans l’exposition, une drôle de sculpture orange s’impose au spectateur. C’est une réplique d’un « power rack », une architecture utilisée en musculation pour soulever de la fonte. Elle est inutilisée, une corde pend enroulée, les poids sont entreposés. Avec cette couleur de terre battue, elle évoque un camp d’entraînement sur Mars.

Un détail néanmoins surprend : la barre pour enfiler les poids s’est enfoncée dans un petit carré d’argile déposé au sol. Elle le plie en deux.  On pense à certaines traductions de la Bible où Adam est parfois appelé « le glaiseux » ou « le boueux » : le « premier Homme » était un être fait d’argile. La sculpture de Matthew Barney, plutôt que d’avoir la couleur plus commune de l’acier, est couleur de terre.

Toute cette force acquise par les athlètes serait-elle une tentative de remodeler la terre dont ils furent tirés ? Ce dialogue entre notre argile intime et la prouesse athlétique, qui n’a de cesse de repousser les limites du corps humain, revient tout au long de l’exposition.

Crédits photo : Eva Herzog

Un dialogue entre notre « argile intime » et la prouesse athlétique

Dans la salle attenante, au-dessus d’un immense tapis géométrique et coloré, une dizaine d’écrans de stade de football américain diffusent le nouveau film de l’artiste : « Secondary ». Cette oeuvre s’inspire d’un accident survenu le 12 août 1978 : un impact violent entre le défenseur des Oakland Raiders, Jack Tatum, et le receveur de l’équipe des New England Patriots, Darryl Stingley, qui sera paralysé à vie. Une tragédie qui a durablement marqué les esprit en Amérique, dont celui de Matthew Barney.

À l’image, des acteurs prennent place sur un terrain fictif dans l’atelier de l’artiste à New York. Parés des couleurs de leur club de football, le noir et blanc des Raiders de Las Vegas, ils ont des mines soucieuses. Plutôt que des athlètes, ils ressemblent à des pirates déboussolés ou des bikers grisonnants. Sur le terrain, ils tentent de retrouver leurs gestes d’autrefois dans les stades pleins à craquer. Leurs murmures solitaires résonnent dans l’espace.

Dans l’atelier de l’artiste transformé en véritable laboratoire technologique, ils fabriquent et reprennent en main des protections et des prothèses. Ces équipements sportifs en avaient fait jadis des athlètes et grâce à eux, ils simulent sans ballon le jeu de leur jeunesse. Le résultat est presque touchant. C’est comme s’ils cherchaient dans le monde du sport à sauver leurs corps d’argile.

LES LIMITES DU CORPS HUMAIN

Au sous-sol, pour la troisième partie de l’exposition, on assiste à une reprise de la performance qui a rendu célèbre Matthew Barney en 1987, alors qu’il était encore étudiant en art à Yale : le Drawing restraint ou Dessin entravéLe film de la première édition est projeté : on y voit l’artiste tenter de dessiner sur les murs alors que son geste est contraint par des équipements utilisés à l’entrainement du football américain.

Explorer les limites du corps humain a toujours été au coeur de la pratique de l’artiste, qui fut à l’université un quarterback prometteur. Et sur les murs de la fondation, une performance in situ a eu lieu. Dans le rôle du joueur des Oakland Raiders, Jack Tatum, un performeur est venu se frotter aux murs avec des poids en argile humide tandis qu’une corde le retient en arrière. Une énième tentative d’utiliser le sport pour se surpasser, être plus qu’un homme, et laisser sa trace sur le monde.

Pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, l’exposition de Matthew Barney agit comme un rappel mélancolique que le sport n’a jamais donné l’éternité aux hommes, seulement une occasion de se dépasser. Malgré leurs prouesses, aucun athlète ne pourra y échapper : bienvenue dans la condition humaine.

Jonas Maroko

La Perle

« SECONDARY »  de Matthew Barney
Du 08 juin au 08 septembre 2024

Fondation Cartier pour l’art contemporain 
261 Bd Raspail, 75014 Paris

www.fondationcartier.com
Instagram : @fondationcartier