Jacques Weber, en sa qualité de metteur en scène et comédien, livre une revisite de la pièce de Victor Hugo, Ruy Blas. Une proposition qui, malgré une distribution alléchante, peine à convaincre par manque de cohérence et de ferveur manifestes.
Sans conteste, Ruy Blas se taille une place parmi les pièces de notre répertoire patrimonial. Drame romantique par excellence, le récit prend pour point de départ le bannissement de Don Salluste de la cour d’Espagne. Furieux, celui-ci décide se venger de la reine en proposant à Ruy Blas, valet de condition, de la séduire sous les traits de Don César, pour mieux la disgracier en retour. Or, celui-ci nourrit déjà en secret un amour éperdu pour cette dernière … sur fond d’intrigues politiques, se dessine dès lors, le destin funeste de ces deux amants aux idéaux malmenés.
RUY BLAS, D’HUGO À WEBER
Un coup de maître qui, depuis son inauguration en 1838, n’a cessé de susciter l’intérêt, tantôt censuré, tantôt porté aux nues, jusqu’à être incarné par les acteurs les plus illustres de leur génération, Sarah Bernhardt inclue. Rien d’étonnant donc, à ce que Jacques Weber, personnalité emblématique du paysage théâtral et cinématographique français, ne décide de s’y atteler également au Théâtre Marigny.
Un engouement renouvelé puisqu’en 2002, celui-ci incarnait déjà à la télévision le rôle de Don César, accompagné des non moins renommés Gérard Depardieu et Carole Bouquet. Onze ans plus tard, Jacques Weber troque son personnage premier pour celui de Don Salluste, et signe la mise en scène d’un Ruy Blas tout en modernité.
UNE AFFICHE ATTRAYANTE EN APPARENCE…
Weber en tête d’affiche. Voici de quoi séduire les afficionados. Lesquels ne s’attendaient certainement pas à retrouver en Don César de Bazan, cousin de Don Salluste et parfaite antithèse de ce dernier, l’acteur Kad Merad, loin de ses emplois habituels – plutôt de comédie – sur grand écran.
La distribution des deux rôles phares de la pièce – Ruy Blas et la reine d’Espagne – parachève l’étonnement. Pour les endosser, point de célébrités mais deux jeunes comédiens, Stéphane Caillard, récemment révélée dans le film Flo sous les traits de la navigatrice Florence Arthaud, et Basile Larié, tout juste sorti de la classe libre des Cours Florent.
Un casting éclectique qui, dès les premiers alexandrins, arbore nombre de ses faiblesses. Si le choix de regrouper sur scène des comédiens de différents horizons aurait pu fonctionner, mariant fraîcheur des plus jeunes et expérience des anciens, il n’en est rien. Le manque d’unité se fait sentir rapidement et s’enracine dès l’arrivée des seconds rôles – mi figurants, mi danseurs, mi chanteurs – dont les différentes attributions laissent pour le moins perplexe.
En somme, l’alchimie ne prend pas. On aurait pourtant aimé entendre le texte de Victor Hugo flamboyer à la hauteur de son ardeur dramaturgique. Basile Larié serait-il trop « frais » pour porter un rôle aussi lourd que celui de Ruy Blas ? Jacques Weber propose pour sa part un Don Salluste timoré à l’indolence regrettable, et reste fidèle à ses automatismes scéniques. Stéphane Caillard et Kad Merad forcent toutefois la surprise et réussissent à imprimer un rythme de jeu enlevé tout en apportant un certain éclat à leurs personnages respectifs.
« UNE MISE EN SCÈNE MODERNE qui CATAPULTe LA COUR D’ESPAGNE DANS UN LIEU INDÉFINI : trop D’ANACHRONISMES SONT DÉROUTANTS. »
UNE MISE EN SCÈNE PEU PROBANTE
Du côté de la mise en scène, la déception se fait également sentir. Jacques Weber fait ici le choix d’une mise en scène moderne, catapultant la cour d’Espagne dans un lieu indéfini dont les épars éléments de décors semblent toutefois évoquer un obscur sous-sol de bâtiment industriel. Soit. Les revisites sont faites pour exister là où on ne les attend pas. Or, tout parti pris impose une cohérence, dont Jacques Weber semble avoir fait l’économie.
Les décors et costumes se révèlent disparates entre fauteuils d’époque, sièges de cinéma, sacs de marché au design populaire, habits espagnols traditionnels, costards cravates … autant d’anachronismes pour le moins déroutants. On reste tout autant pantois devant les quelques audaces scéniques déboulant sans crier gare au gré du spectacle.
Pourquoi cette scène de music-hall servie par une chorégraphie plus que maladroite au début de l’acte IV ? Pourquoi faire des serviteurs de la cour des hommes de main semblant tout droit sortis de la brigade d’agents secrets de Men In Black ? Pourquoi n’user qu’une fois de projections vidéo dont la réelle utilité interroge ? En l’absence d’harmonie, voilà de quoi rester déconfit.
In fine, on ressort déçus de ce Ruy Blas sans panache, qui n’offre pas de terreau propice à l’expression du talent de chacun des comédiens. Fort heureusement, les vers de Victor Hugo, toujours aussi admirables, se laissent entendre et ne manqueront pas de conquérir à nouveau les amoureux de la langue française.
Amandine Violé
La Perle
« Ruy Blas »
Du 29 novembre au 31 décembre 2023
Théâtre Marigny
Carré Marigny 75008 Paris
www.theatremarigny.fr
Instagram : @theatre_marigny