De la danse, du chant, des dialogues loufoques et des personnages hauts en couleurs, la pièce « Les Producteurs » d’Alexis Michalik – plus jeune metteur en scène jamais récompensé en France – ne laisse pas de marbre. Le vice et le génie de cette pièce, qui s’est ouverte, ce jeudi au Théâtre de Paris, reposent particulièrement sur une mise en scène et un jeu d’acteurs à double tranchant. Au cœur de cette prise de risque, un politiquement incorrect qui ne connaît pas de juste milieu : soit on adore soit on déteste ; tout dépend de ce qu’on veut y voir et de notre manière d’interpréter le propos. En 2022, la pièce a été distinguée de deux récompenses : le Molière du meilleur spectacle musical, et celui de la révélation masculine pour le comédien Benoît Cauden.
CARICATURE À GOGO
La comédie musicale retrace l’histoire d’un producteur peu scrupuleux qui amadoue son comptable – lui-même peu confiant et légèrement névrosé. Dans le but d’échapper au fisc, il l’embarque dans un projet de pièce de théâtre sous forme de comédie musicale. Son but : créer la pièce la plus médiocre possible. S’ensuit une série d’évènements et de rencontres afin de trouver les plus mauvais textes, metteur en scène et acteurs.
Et justement, c’est le profil des personnages qui peut susciter le malaise. La mise en scène et les dialogues jouent sur les clichés et les comédiens interprètent des personnages tout à fait caricaturaux : une blonde russe qui joue de son corps pour avoir ce qu’elle veut, des homosexuels très efféminés qui ne tiennent pas en place, des mamies cougars qui proposent de l’argent contre des faveurs sexuelles, un Hitler gay décrédibilisé et sensible… Bref, un mélange de tout ce qui peut faire rire et révolter.
Cet aspect caricatural de la pièce est notamment dû au fait qu’elle est la reprise d’une pièce écrite plusieurs décennies avant la nôtre. En effet, « Les Producteurs » est avant tout une pièce pensée et réalisée en 1967 par l’américain Mel Brooks. L’origine américaine ainsi que la date de création de la pièce peuvent ainsi expliquer le décalage avec la société d’aujourd’hui et, par conséquent, l’accueil mitigé et les critiques qu’a pu recevoir la pièce, dénonçant précisément des personnages trop caricaturaux.
Si la pièce fonctionne tout de même, c’est justement parce qu’elle joue sur des clichés si forts et si… clichés qu’on ne peut que la regarder sous l’œil d’un divertissement aux accents populaires. D’autres modalités humoristiques permettent d’adhérer au spectacle tels que le comique de répétition ou quelques saynètes absurdes. De cette comédie musicale, on retient surtout la performance des acteurs et les décors époustouflants.
“DEUX HEURES – SANS ENTRACTE – DE MUSIQUE, DE CHANT ET DE DANSE QUI S’ENCHAÎNENT ET NOUS PLONGE DANS UNE CHORÉGRAPHIE PROPRE À L’UNIVERS DE BROADWAY.”
Crédit photo : le Théâtre de Paris.
SHOW ME BROADWAY !
La pièce d’Alexis Michalik est une comédie musicale. En plus des traditionnels costumes et décors caractéristiques de théâtre, le chant et la danse trouvent leur place sur scène. Une performance musicale en plus d’une performance théâtrale qui pousse à saluer la prouesse artistique et technique des comédiens.
Les comédiens incarnent des rôles différents tout au long de la pièce. Une multitude de personnages sont présentés sur scène, interprétés par un petit nombre d’artistes, laissant à chaque comédien la place d’exprimer son talent et sa capacité à passer d’un personnage à l’autre, le tout en très peu de temps.
Car « Les Producteurs » est avant tout une pièce au rythme effréné. Deux heures – sans entracte – de musique, de chant et de danse qui s’enchaînent dans une chorégraphie nous plongeant directement dans l’univers de Broadway. Un Broadway notamment recréé grâce à des décors et des costumes immersifs. Les comédiens enfilent différentes tenues qui participent à l’esprit de la comédie musicale et à l’identification des personnages.
Les décors défilent au rythme des personnages et des scènes dans lesquelles ils évoluent, sous nos yeux, et deviennent un acteur à part entière de la pièce. La mécanique théâtrale est à peine cachée du spectateur ; tout est pensé pour faire voir le théâtre sans chercher à maintenir l’illusion. Le quatrième mur, qui renvoie au mur imaginaire séparant le public de l’intrigue de la scène, est presque brisé. Pour autant, le spectateur ne décroche pas.
« Les Producteurs » d’Alexis Michalik est provocatrice mais drôle. Son côté caricatural fait rire, mais c’est surtout la qualité de la mise en scène que l’on retient. Au-delà du sujet de la pièce, sa véritable valeur ajoutée repose sur l’accès à une comédie musicale, genre plus populaire, plus show-off qui ravive et réveille peut-être le public averti du théâtre.
