Au Théâtre Antoine, une amitié brisée par l’Histoire

Avec Jean-Pierre Darroussin et Stéphane Guillon, une adaptation du classique Inconnu à cette adresse, se joue au Théâtre Antoine jusqu’au 26 avril 2024. Dans une mise en scène immersive et rythmée par l’échange épistolaire , la pièce met en scène une amitié  brisée par la montée du nazisme, entre Munich et San Francisco.

Deux acteurs, deux bureaux, un écran en toile de fond surmonté d’un rideau filandreux. La pièce peut commencer. Crédits photo : Théâtre Antoine

Un échange fort ramassé en un peu plus d’une heure. Il faut dire que le chef d’œuvre de Kathrine Kressman Taylor (1938), Inconnu à cette adresse dit déjà, tout ou presque, du bouleversement à la fois individuel et collectif qu’immisce la montée du nazisme au début du XXème siècle.

Mais dans cette mise en scène pensée par Jérémie Lippmann au Théâtre Antoine, c’est la scénographie qui enracine le propos. Deux acteurs, deux bureaux, un écran en toile de fond surmonté d’un rideau filandreux. La pièce peut commencer. Et elle se joue jusqu’au 20 avril 2024.

UNE TRAHISON CONSOMMÉE, UN ENGRENAGE MORTIFÈRE

C’est l’histoire d’une amitié mais surtout de sa déchéance. Dans Inconnu à cette adresse, une amitié est rattrapée par l’idéologie, l’embrigadement nazie et l’horreur de l’Histoire. Max Eisenstein (Jean-Pierre Darroussin) et Martin Schulse (Stéphane Guillon) sont galeristes, amis, quasi-frères et associés depuis toujours. Tout au long de la pièce, ils échangent des lettres, entre San Francisco et Munich.

Mais le ton change et se tend au gré de la montée d’Hitler au pouvoir en Allemagne. Le succès du nazisme gagne Martin. Il est le premier à renoncer à son amitié envers Max, américain d’origine juive. Une première trahison est consommée. S’ouvre alors un engrenage mortifère.

Stéphane Guillon dans le personnage de Martin. Crédits photo : Théâtre Antoine

« Le succès du nazisme gagne le personnage de Martin. Il renonce à son amitié pour Max. S’ouvre alors un engrenage mortifère. » 

POUR INCARNER LE TEXTE, UNE SCÉNOGRAPHIE IMMERSIVE

Inconnu à cette adresse ne comporte aucun dialogue en tant que tel. Seulement deux monologues qui se font face. Les correspondances prennent vie sur scène à travers la lecture de Jean-Pierre Darroussin et Stéphane Guillon. Un texte connu par les deux comédiens qui l’ont, tous deux, déjà joué avec d’autres partenaires, comme Jean Benguigui, Gaspard Proust ou Bruno Solo.

Les dix-neuf lettres échangées entre les deux hommes gagnent en théâtralité grâce aux choix de scénographie : une mise en scène immersive imaginée pour encadrer l’échange épistolaire. Jérémie Lippmann a monté l’adaptation en cinq jours.

Pour celle-ci, il a choisi de projeter des images d’archives, des photos et des vidéos pour accompagner les écrits et lectures des deux amis. La musique, les sons, les jeux de lumière donnent le ton et rythment la pièce. Ils rendent plus palpable l’ambiance racontée au travers des lettres : la nostalgie et la tendresse d’abord, la tension et la gravité ensuite.

Grâce à la scénographie, la correspondance quitte le monde du texte écrite pour devenir une pièce de théâtre. Crédits photo : Théâtre Antoine

La pièce marque la cohabitation de la littérature avec le théâtre, même si le texte littéraire reste prédominant. Grâce à la scénographie, la correspondance quitte le monde du texte pour devenir une pièce de théâtre, où les scènes lues au spectateur se déroulent sous ses yeux. La mise en scène permet d’entourer le texte littéraire d’un écrin de théâtralité où les enjeux de la représentation sur scène sont conservés.

Cette nouvelle adaptation pour le Théâtre Antoine remplit la vertu pédagogique d’un classique de la littérature épistolaire. On salue la scénographie qui illustre visuellement et musicalement le basculement des émotions de deux hommes liés mais opposés, comme les deux faces d’une même pièce. Jérémie Lippmann donne à voir au spectateur un récit tragique, la fin d’une amitié brisée quand le totalitarisme s’y invite.

Armelle Sauger

La Perle

« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressman Taylor 
Mise en scène : Jérémie Lippmann
Du 12 mars au 20 avril 2024

Théâtre Antoine
14 Boulevard Strasbourg 7510 Paris

www.theatre-antoine.com
Instagram : @theatreantoine