Au plus proche des Raisins de la colère 

Au Théâtre Michel, Xavier Simonin adapte en musique le célèbre roman de Steinbeck et l’histoire
de ces vieux paysans américain sur la route nous ressemblent plus qu’il n’y paraît.

Dans "les Raisins de la colère" Xavier Simonin tient le rôle principal, accompagné de trois musiciens. Crédits photos : Émilie Brouchon

Mettre en scène l’un des plus grands classiques de la littérature américaine ? Pari tenu par Xavier Simonin, comédien principal et metteur en scène des Raisins de la colère, au Théâtre Michel. Un pari qui n’avait pourtant rien d’évident. 640 pages, une crise historique, une multitude de personnages, et une famille sur les routes : les Raisins de la colère est un monstre de la littérature, et donc un véritable défi à mettre en scène.

L’auteur y raconte le périple des Joad, une famille pauvre d’Oklahoma jetée sur la route par la Grande Dépression, la crise économique qui a frappé de plein fouet les États-Unis dans les années 1930, et qui voyagera jusqu’en Californie en espérant trouver un monde meilleur.

UNE PIÈCE À REMONTER LE TEMPS…

Les Raisins de la colère commence dans le noir et le spectateur est happé par une voix qui semble tout droit sortir d’un vieux magnétophone. Elle lui décrit l’Oklahoma, État rural des années 1930, avec ses champs de maïs à perte de vue bientôt recouverts par d’épais manteaux de poussière. 

Cette voix nasillarde, typique d’un vieux paysan américain, est accompagnée par une musique folk jouée en live par trois musiciens. Une composition originale de Glenn Arzel et Claire Nivard qui nous transporte dans cet univers. Peu à peu, la lumière augmente et révèle un décor d’époque : caisses de bois, chemises à carreaux, contre-basse, longues jupes jusqu’aux chevilles, on sentirait presque l’odeur de foin.  

Crédits photo : Émilie Brouchon

« Une fresque sociale se dessine sous nos yeux. »

Sur le plateau, le comédien principal Xavier Simonin décrit à merveille cet univers : des vieux diners américains aux murs recouverts de pubs Coca Cola aux stations-services décaties en passant par les routes de campagnes cabossées…Une fresque sociale se dessine sous nos yeux. On y découvre la ville d’une famille de métayers qui perd ses récoltes et ses terres à cause d’une tempête de poussière.

La famille n’a alors plus d’autre choix que de prendre la route en direction de la Californie, avec l’espoir d’y trouver du travail. Sur scène, Xavier Simonin incarne tous ces personnages avec brio et sensibilité, passant de l’un à l’autre grâce à un jeu corporel époustouflant.

…FACE À UN PUBLIC D’AUJOURD’HUI

Un lien fort entre théâtre, danse et musique, rythme toute la pièce et la rend vraiment moderne. Il y a d’abord le jeu très physique, presque dansé, de Xavier Simonin, mais aussi sa parole qui suit les inflexions de la musique, évoquant presque du slam ou du rap, et qui emporte véritablement le spectateur.

L’histoire des personnages s’est achevée il y a bien longtemps mais la pièce se teinte d’une anxiété qui nous est contemporaine. Mais est-ce le spectateur seul qui la perçoit ou le metteur en scène qui la suggère ? Les raisons de la colère semble adapter le roman de Steinbeck pour un public d’aujourd’hui, qui saura s’identifier aux personnages.

Une composition originale de Glenn Arzel et Claire Nivard nous transporte dans l'époque. Crédits photos : Émilie Bouchon

Comment ne pas voir entre ce grand-père qui meurt seul avec sa terre, et ces jeunes travaillant désormais sur des tracteurs, un conflit de générations ? Comment ne pas voir dans cette histoire au plus proche des paysans, la détresse face à un modèle d’agriculture qui se meurt ? La lutte de cette famille américaine pour se nourrir fait écho à notre défi d’alimentation à grande échelle, face à l’explosion démographique de nos sociétés modernes.

Il y a aussi les sujets de l’exil et de l’immigration. Ce déchirement raconté avec une grande sensibilité n’a pas pris une ride. La famille Joad débarque en Californie et se confronte aux autorités locales ainsi qu’aux propriétaires terriens qui voient en eux de la main d’œuvre bon marché. Ils se font traiter d’Okies, terme péjoratif pour désigner les habitants d’Oklahoma, et sont comparés aux nègres de l’Amérique esclavagiste.

Le théâtre Michel nous procure un véritable voyage dans le temps. Sa mise en scène habile et authentique réussit le pari d’une adaptation moderne de ce chef-d’œuvre de la littérature. Il campe avec brio les tiraillements universels qui se perpétuent de génération en génération. 

Léa Siouffi

La Perle

« Les raisins de la colère » de Xavier Simonin
Du 1er février au 20 avril 2024

Théâtre Michel
38 rue des Mathurins 75008 Paris

www.theatre-michel.fr
Instagram : @theatremichel