Procès des faux du Château de Versailles : un des gros plus scandales du marché de l’art

Bill Pallot, expert, et Bruno Desnoues, sculpteur, sont poursuivis pour avoir fabriqué et vendu de faux meubles à de prestigieuses institutions comme le Château de Versailles. Pendant deux semaines, le tribunal de Pontoise (95) a cherché à comprendre comment ces deux faussaires ont réussi à tromper le marché de l’art

Comment de faux meubles « d’origine royale« , ont-ils pu transiter dans les galeries et maisons d’enchères les plus prestigieuses, sans éveiller le moindre soupçon ? C’est la question qui a animé les juges du tribunal de Pontoise, du 25 mars au 2 avril dernier. Sur le banc des accusés, Bill Pallot, expert international des meubles français du XVIIIème siècle, et Bruno Desnoues, sculpteur et meilleur ouvrier de France. 

Entre 2008 et 2015, le duo met tout son talent au service d’une entreprise autant illicite que prolifique : la création et la vente pour plusieurs millions d’euros de faux sièges. Poursuivis au pénal pour des faits de “tromperie”, “blanchiment d’argent” et “fraude fiscale”, ils comparaissaient face au Château de Versailles, la famille Guerrand-Hermès et même, l’Etat – via la direction générale des finances publiques. 

Lorsque mardi 25 mars au matin, Bill Pallot, qui se fait surnommer le “Père La Chaise”, franchit le seuil de la salle du Tribunal judiciaire de Pontoise, on y découvre un sexagénaire à l’aise et sûr de lui. Fidèle à sa réputation de dandy, c’est en costume trois pièces que cet ancien enseignant à la Sorbonne se présente devant la cour pour faire amende honorable. Pour lui, tout a commencé par une sorte de « jeu« , par un sentiment “grisant” à l’idée de duper le marché de l’art.  Pari malhonnête mais réussi. 

Une chaise qui aurait appartenu à Marie Antoinette ? Vendue 420 000 euros au Château de Versailles en 2011. Des tabourets pliants du menuisier royal François Foliot ? Ils trouveront preneur en 2012 pour 380 000 euros. Une chaise du Petit Trianon, ancienne demeure de Marie-Antoinette ? Un prince qatari en fera l’acquisition à la fameuse galerie Kraemer pour 2millions d’euros en 2015. Au final, sept meubles ont été saisis par la justice pour un total de ventes avoisinant les 3,5 millions  euros.

Des faux sans défaut (ou presque)

Au tribunal, Bruno Desnoues, le sculpteur aujourd’hui retraité à l’origine des faux explique avoir été happé par le défi artistique. “Pendant trente ans de carrière, on m’a toujours répondu “Ah quand même !”, lorsque je présentais une facture”, explique l’artisan qui a vu dans l’offre de Bill Pallot l’opportunité de s’investir à 100% dans un projet, sans avoir à compter ses heures. 

Entre les lignes, on comprend que pour lui, faire authentifier une de ses créations comme étant celle d’un grand créateur du XVIIIème siècle, était une reconnaissance. Alors quand une paire de chaises garnies de Louis Delanois un autre menuisier royal (qu’il a lui-même fabriquée) se retrouve classée trésor national en 2008, avant d’être achetée par l’Etat pour 840 000 euros, il décrit une fierté. À la barre, il prétend pourtant n’avoir jamais cherché à connaître la destinée d’aucun des meubles sorties de son atelier. Une question d’éthique de l’artisan selon lui. 

“Pour faire la carcasse du siège (l’armature en bois d’un meuble, ndlr), j’utilisais des morceaux de bois issus de meubles d’époque et me basais sur des empreintes de pièces que j’avais déjà dans mon atelier, et sur des photos des détails”, explique le sculpteur aujourd’hui à la retraite.

Un faux c’est très long à faire. Il y a la sculpture, les temps de séchage, après il y avait les dorures, le tapissier. Tout ça payé au noir, donc produit uniquement le weekend. Faire un siège, ça prend au moins deux ans", explique le “Père La Chaise” visiblement fier des pièces.

Au sujet d’un fauteuil saisi, il répond à la juge : “À partir du moment où l’arc ajouté par Bruno Desnoues était parfaitement réalisé, le meuble méritait l’étiquette Chatard (un grand artisan du XVIIIème siècle, ndlr)”.  Comprenez, le meuble était d’une qualité comparable à ceux produits pour la couronne de France à l’époque. Remarque qui ne manquera pas d’arracher quelques rires à la salle d’audience.

Les faux, un secret de polichinel sur le marché de l’art

Sur la vraisemblance des faux, on a entendu deux sons de cloche bien distincts dans cette affaire. D’abord il y a ceux qui se sont fait avoir, qui défendent qu’il était impossible de reconnaître les sièges contrefaits. Sauf qu’après les aveux des faussaires, le tribunal exige une expertise judiciaire. Dans leur rapport, ces derniers jugent que : “Ces faux ne sont pas de nature à tromper des experts ou professionnels aguerris du XVIIIème siècle”. On nous explique alors que la patine des meubles ne correspondait pas, et que l’aspect des dorures non plus. Il était clairement visible que le bois sur certaines parties était artificiellement vieilli. 

Une analyse gênante. Notamment pour les grands acteurs du marché comme Sotheby’s par lesquels une vente s’est réalisée. En 2011, la maison d’enchères a organisé une cession entre le Château de Versailles et Bill Pallot pour une chaise ayant appartenu à Marie Antoinette. 420 000 euros. Il faudra attendre une contre-visite de Sotheby’s au Château de Versailles, suite à la révélation de l’affaire, pour que les experts de la maison changent leur fusil d’épaule et remarque les évidentes incohérences du meuble.

Les avocats de Bill Pallot  n’ont pas manqué de souligner l’ironie  : reconnaître des faux, déjà reconnus comme étant contrefaits. En sous-texte : dans ce marché où “les faux sont un secret de polichinel”, comme l’affirme à la barre Bill Pallot, tous ces acteurs auraient eu un intérêt financier évident à manquer de vigilance à cet égard.

Un principe de discrétion ou d’opacité

Et alors que “le Père La Chaise” se fait interroger par le tribunal à ce sujet, l’avocat de la maison de vente aux enchères, qui s’est constitué partie-civile dans cette affaire, intervient : “C’est à croire que c’est Sotheby’s qui est accusé dans cette affaire !” Et l’avocate de Bill Pallot de rétorquer: “Non. Seulement co-accusé.” L’affaire met un coup de projecteur sur un marché de l’art dont le fonctionnement a quelque peu désemparé Pascal Rayer, le procureur. 

Comment se fait-il que nous soyons face à un marché où les experts qui sont censés être garants de l’authentification de meubles, soient aussi des marchands ?” questionne-t-il pendant son réquisitoire.

Au long des deux semaines d’audiences, il s’est inquiété d’un monde où règne un principe de discrétion, souvent traduit en opacité des transactions financières et d’origine des marchandises.

Un exemple est saisissant à cet égard. En 2008, la famille Guerrand-Hermès achète, par l’intermédiaire de son conseiller une chaise prétendument du Cabinet de Marie-Antoinette pour la somme 530 000 euros à Bill Pallot, la transaction se fait sans factures à la demande des deux parties.

Elle est réglée depuis l’étranger, directement sur le compte suisse de Balart, la société panaméenne du Père La Chaise. “Quand j’ai ouvert mon premier compte en suisse à la fin des années 1990, c’est parce que mon client de l’époque me le demandait !”, explique-t-il, en prétextant qu’il était monnaie courante à l’époque d’opérer de la sorte.

Le fisc démasque les faussaires

Bruno Desnoues explique avoir vécu en ascète toute sa vie, finit, à la demande de son associé, par ouvrir un compte à Genève. Ironie du sort, c’est par l’argent déposé sur le compte suisse de cet artisan, qui a toujours plaidé s’en être désintéressé que le pot aux roses est révélé. En 2012, sa banque helvète, qui estime que les 500 000 euros déposés sur son compte ne sont pas suffisants, lui annonce fermer son compte. 

Il transfère ses fonds sur le compte portugais d’un ami, M. Dias Da Costa. Ce dernier en fera un usage douteux et sera signalé par Tracfin le service de renseignement français contre le blanchiment et la fraude fiscale. De là, les enquêteurs remonteront finalement la trace jusqu’à Bill Pallot. 

Au terme de ses six jours d’audience, il ressort une perplexité : d’abord ce récit “extraordinaire” d’une tromperie, orchestré par deux hommes qui étaient tous deux considérés comme les meilleurs dans leur domaine. Puis, ce coup de projecteur sur un marché de l’art où le manque de transparence a désarçonné le tribunal. Trois ans de prison, dont une ferme, 300 000 euros d’amende, la saisie de son appartement, ainsi qu’une interdiction d’exercer de cinq ans sont requis contre Bill Pallot. Le tribunal rendra son verdict en délibéré le 11 juin prochain.

Martin Ferron

La Perle