Journées européennes du patrimoine : c’est quoi la vie de château ?

Les journées européennes du patrimoine sont l'occasion de se pencher sur un patrimoine typique du terroir français : les châteaux. Ronflant ou fascinant ? Les goûts diffèrent. Mais en somme, que racontent ces grandes demeures et que disent-elles de la sensibilité de ses visiteurs ?

Avec les châteaux, c’est la force d’un art total et immersif qui attire le visiteur et lui raconte une histoire. Crédit photo : Yann Piriou Vaux-le-Vicomte.

PETITE ET GRANDE HISTOIRE DE FRANCE

Le château de Jossigny, situé près de Marne-la-Vallée, propose à ses visiteurs de plonger, tout au long de l’année, dans son architecture XVIIIème siècle à travers à l’expérience de l’escape game. Un jeu d’énigme immersif intitulé « Château Sanglant » au cours duquel les joueurs doivent résoudre une mission dans le temps imparti. Toujours en région parisienne, le château de Vaux-le-Vicomte, à Maincy présente jusqu’au 1er octobre, ses « samedis aux chandelles » où les visiteurs peuvent, à la lumière de mille et une bougies et des nouvelles technologies, plonger de nuit dans l’histoire du château et du secret de son complot. Mais que retenir de ces démarches ? Quel écho les châteaux suscitent-t-ils chez les visiteurs pour que nombre de ces monuments s’emploient à exploiter les lieux via des activités ludiques ou divertissantes ? Pour Romane Delsinne, guide d’été dans le château de Chastellux, en Bourgogne, c’est la force d’un art total qui se joue dans les châteaux : « Ce patrimoine a cette particularité d’attirer le plus grand nombre : il y en a qui ne sont intéressés que par l’architecture, d’autres par la peinture ou par les meubles. C’est un monument avec un panel d’objets et de récits. » 

Le récit, un élément essentiel de l’âme des châteaux : « À la différence des musées, le château a cette particularité de tenir une histoire au sein même de son bâti. Tout est sujet à raconter. Les gens, même les enfants qui arrivent parfois en râlant, repartent toujours avec quelque chose », poursuit Romane Delsinne. Mais de quelle histoire parle-t-on ? Laureen Gressé-Denois, étudiante à l’Ecole du Louvre et passionnée de grandes demeures, projette d’abord l’histoire intime des lieux, « celles de leurs résidents, dont on imagine encore leur présence, rêve à leur vie et leurs aventures ». Le château de Vaux-le-Vicomte a été le lieu de la déchéance de son propriétaire et courtisan du roi Louis XIV, Nicolas Fouquet. La majesté de ses lieux aurait suscité une telle jalousie de la part du souverain qu’il aurait puni Fouquet de son insolence par un emprisonnement à vie. Mais l’étudiante repère également dans les châteaux les indices de nos habitudes contemporaines : « Les premières commodités de résidence amenant le confort y apparaissent peu à peu : c’est tout un pan de l’Histoire de notre vie quotidienne qui est né dans ces châteaux telles que les baignoires, les chauffages au sol, l’électricité… »

“POUR BEAUCOUP, LE MUSÉE PORTE UN CLICHÉ TRÈS INTELLECTUEL, TRÈS FROID. LE CHÂTEAU, C’EST AUTRE CHOSE : IL Y A UNE SORTE D’ATTACHEMENT AU TERRITOIRE.”

Château de Chastellux, en Bourgogne.

LES CHÂTEAUX : UN EXOTISME LOCAL

Un lien entre hier et aujourd’hui que les politiques culturelles publiques cherchent à entretenir pour pallier l’image parfois rébarbative et poussiéreuse des châteaux. Valérie Arconati est historienne de l’art et commissaire d’exposition. À l’occasion des Journées européennes du patrimoine (JEP), ces 17 et 18 septembre 2022, elle encadre l’exposition « Sacralités » qui présente le travail de l’artiste contemporaine Anna L’Hospital au château de Jossigny. Le projet est soutenu par le Centre des monuments nationaux (CMN), institution d’État, qui a la gestion du château. Valérie Arconati voit dans la force du contraste et de l’anachronisme entre patrimoine et création actuelle, l’occasion de conquérir un autre public, plus jeune : « Nous mettons en place des initiatives pour faire vivre les lieux auprès de nouvelles générations. Celles-ci sont à la recherche d’un dialogue entre le lieu, l’artiste, le public qui suscite la curiosité et l’admiration »… Parfois même l’indignation : en 2015, l’artiste britannique Anish Kapoor est invité par le château de Versailles pour exposer son Dirty Corner (surnommé « le Vagin de la Reine » par la presse française) dans les jardins. Un contraste subversif d’autant plus scandaleux que l’œuvre a été vandalisée à plusieurs reprises, notamment par des inscriptions antisémites. 

Plus qu’une relation à l’Histoire, c’est aussi un lien au territoire qui est tissé avec les visiteurs. Dans cette perspective, les effets de la crise sanitaire ont suscité de nouveaux intérêts. Dans le voyage, la quête d’exotisme se penche sur une autre forme d’ailleurs, celle du terroir – et du terroir d’antan : « Pour beaucoup de visiteurs, le musée est quelque chose de froid. Il porte le cliché d’une image très intellectuelle, très peu accessible. Le château, c’est autre chose : il y a une sorte d’attachement aux territoires, l’expression d’un passé commun à tous, de l’ouvrier au chef d’entreprise, » défend Romane Delsinne. Un constat que partage Valérie Arconati : « C’est une grande chance pour la France d’avoir plusieurs milliers d’années de patrimoine bâti et ancien toujours debout, malgré les guerres. Les premiers châteaux datent de l’an 1000. Et puis, il y a les châteaux de la Loire qui vont du XIVème au XVIIIème siècle. En un sens, les châteaux sont témoins de ces époques. Ils sont l’empreinte de notre Histoire. »

Les Journées européennes du patrimoine s’emploient à donner accès à des lieux généralement fermés au public, faute parfois de financement pour conserver le patrimoine et encadrer les publics. C’est le cas du château de Jossigny dont la visite réelle- hors escape game donc – n’est ouverte que quelques jours par an. Pour les châteaux, notamment les propriétés privées, c’est aussi le caractère exceptionnel de la découverte qui est donc mis en avant pour la communication de l’évènement. Au-delà des monuments plus populaires et touristiques comme le Château de Versailles ou de Fontainebleau, le patrimoine des châteaux, dans son ensemble, recentre l’Histoire sous un angle moins poussiéreux qu’il n’y paraît. Il s’inscrit, bien au contraire, au cœur de nécessités très actuelles : l’aspect immersif répond à la soif de divertissement ; son implantation locale à la contrainte d’un tourisme moins polluant – tout aussi dépaysant ; et sa force narrative à notre quête d’identité. En somme, sont-ils mes ancêtres, ces nobles châtelains des temps lointains ? La question est ouverte, et les châteaux aussi. 

Perla Msika

La Perle