En marche pour une « randonnée-théâtre » avec le collectif 49701

La metteuse en scène Clara Hédouin et le collectif 49701 ont invité les spectateurs pour leur nouvelle création théâtrale en plein air, sur les hauteurs de garrigue provençale. Une adaptation en pleine nature de près de 7 heures pour donner vie au roman de Jean Giono, Que ma joie demeure, hymne au bonheur pastoral.

Des témoignages d’ agriculteurs, de maraîchers, de paysans qui confessent leur rapport à la terre et aux réalités d’un quotidien ardu. Crédits photos : Christophe Raynaud de Lage

« L’expérience prime sur la fatigue »

Il est 5h du matin. Le rendez-vous est fixé sur un parking aux abords d’Avignon. Les mines sont fatiguées bien qu’enjouées ! Tout comme Charlène, nous sommes une soixantaine à nous être levés aux aurores pour plonger dans l’expérience théâtrale proposée par Clara Hédouin et le collectif 49701. Une longue marche théâtrale dont le déroulé reste un mystère pour tous.

Hauts les cœurs ! Les afficionados du Festival d’Avignon, dédié au théâtre et au spectacle vivant, sont au rendez-vous et l’excitation est palpable. Nous grimpons dans les navettes, vers quelle destination ? Quelque part au pied du village provençale de Barbentane, dans les Bouches-du-Rhône.

Pour le reste, nous n’en savons pas plus. « J’ai envie de me laisser surprendre, l’expérience est unique ! Elle prime sur la fatigue » confie Charlène, une spectatrice. Et l’immersion ne se fait pas attendre : dès les premiers kilomètres, alors que certains en profitent pour grappiller quelques minutes de sommeil à la nuit, un chant provençal résonne. Le tableau est posé. 

Des témoignages suivent, agriculteurs, maraîchers, paysans, tous de la région, qui confessent leur rapport à la terre et aux réalités d’un quotidien de plus en plus ardu. Les spectateurs assistent à la nouvelle création du collectif : une marche théâtrale de six heures et demi pour donner vie au roman de Jean Giono, Que ma joie demeure, hymne à la félicité pastorale.

Si le texte de Giono date de 1935, Clara Hédouin se réclame d’un théâtre engagé et donc actualisé. « Nous voulions en apprendre plus sur la production agricole aujourd’hui en France […] sur ces vies dont nous ne connaissions pas encore grand-chose, pour ensuite raconter l’histoire des personnages » raconte-t-elle dans le livret du spectacle.

Neuf tableaux ponctués de marches-ponts, conçues comme des moments propices à la rêverie.
Crédits photos : Christophe Raynaud de Lage

Des répliques à la levée du soleil 

Quelque chose de chaleureux se dégage de notre procession, des personnes âgées suivent des plus jeunes, le pas est dynamique, le moment inédit. Armés d’un tabouret trépied et d’un morceau de tapis fourni par l’organisation, nous cheminons jusqu’au premier tableau intitulé « Une rencontre ». Rencontre avec une forme théâtrale atypique et intrigante. 

Neuf tableaux suivront, ponctués de marches-ponts, conçues comme des moments propices à la rêverie, au partage et à l’aventure. La forêt se dessine au loin, les cigales cymbalisent et sagement assis au pied d’herbes qui picotent, nous attendons. Il est 6 heures du matin et chacun scrute l’horizon, les sens en éveil. Quel est-ce théâtre sans murs ni plafond ? Sans projecteurs, bâches sonores ni artifices ? Devons-nous attendre les acteurs à cour ou à jardin ? Car autant le dire, ici tout est jardin. 

Et soudain, face à nous, jaillissant de la forêt, se dessinent de minuscules silhouettes perdues dans l’immensité des hautes herbes. Le soleil levant se charge d’assurer la lumière « plateau » – au sens théâtral et géographique du terme.  L’ouverture du spectacle est lancée, en un mot, superbe.  

la nature pour décor de scène

Instantanément, le choix de faire vivre le roman de Jean Giono au cœur même de son environnement descriptif apparait d’une justesse captivante. Car si l’œuvre débute sur la présentation des habitants du plateau de Grémone, travailleurs de la terre isolés et éreintés de leur dur labeur quotidien, le spectacle lui, s’ouvre dans un champ à l’horizon infini, dépeuplé, d’où surgissent les acteurs, de différentes lignes de mire. L’éloignement se ressent, la rudesse des lieux, également.

Très vite, la puissance du projet théâtral se dessine : une sorte de communion avec la nature nous attend, laquelle impose son référentiel, dicte son rythme, porte en elle les images de l’œuvre traitée. Le vivant nous entoure, à nous d’en faire notre terrain de jeu. Tout est alors partie intégrante du spectacle ! La chaleur, vite écrasante, le tournoiement des oiseaux, le bruit des insectes en chape sonore persistante. Les oliviers deviennent le décorum d’une scène de cache-cache avec un cerf imaginaire. 

Plus que réalistes, les tableaux s’égrènent, dans toute la beauté, l’austérité et l’immensité des lieux. Il faut dire que Clara Hédouin et le collectif 49701 ont fait de cette recherche l’essence de leur travail : « Je voulais traverser des friches, des prairies, des forêts, retrouver les dynamiques propres au sauvage. Comme si le théâtre pouvait être aussi l’occasion de traverser de nouveau les milieux qui nous font vivre, peut-être avec un autre regard, une autre attention ».

Si l’on peut croire que les six heures et trente minutes annoncées en aient effrayé plus d’un, il n’en est rien. À vrai dire, le temps semble s’être distordu, les portables restent éteints, nous avançons hors du temps. L’entracte entre le cinquième et le sixième tableau permet à certains de piquer un somme, des conversations vont bon train, les appétits se sustentent. 

UNE FRESQUE – UN PEU TROP- MÉTAPHYSIQUE ?

À ce stade, tous les personnages se sont révélés sur le plateau de Grémone – Barbentane. La fresque pastorale dépeinte par Giono, s’écoule, aussi lentement que nous progressons. Le rythme est calme, paisible…ennuyeux ? Peut-être parfois. Un ennui miroir, réalité des personnages communiquée au spectateur. Il devient vite évident que Giono n’a pas placé l’action au cœur de son propos. 

Sans doute ces six heures et trentes minutes sont-elles nécessaires pour que la quête racontée prenne forme : celle de la joie universelle, de la recherche d’un nouvel équilibre de vie, en collectivité au contact de la terre nourricière, en toute simplicité et humilité. Il faut attendre les derniers intermèdes pour que les premiers ressentis s’expriment. « Un peu long », « trop métaphysique », « si poétique ! ».

Sans conteste, notre concentration est mise à rude épreuve. Pour autant, chacun semble heureux d’avoir éprouvé l’aventure, jusqu’à son terme. Il est 13 heures, les comédiens offrent leurs derniers mots au zénith, les visages trempés de sueur, réjouis de ce partage. La standing ovation ne tarde pas.

Voici le genre d’expérience qu’il faut avoir vécu pour en parler. Une bouffée oxygénante hors des murs du théâtre conventionnel. Quelques heures plus tard, de nouveau connectés au brouhaha citadin, les mots de Clara Hédouin pour le journal La Terrasse résonnent : « c’est une expérience collective qui nous met tous à l’épreuve […] nous restons tissés au milieu vivant qui nous entoure […] nous “en sommes” » Voilà où réside la jouissance in fine : ne plus seulement d’être spectateur, mais en être, tout simplement. 

LES DATES DU SPECTACLE 

L’adaptation de Que ma joie demeure de Clara Hédoin avec le collectif 49701 est à retrouver les 13 et le 14 avril 2024 au théâtre Nanterre Amandiers ; les 18 et 19 mai 2024 sur la Scène nationale de Calais; les 25 et le 26 mai 2024 sur la scène nationale de Cavaillon ; les 1er et le 2 juin 2024 sur la Scène nationale Grand Narbonne ; les 22 et le 23 juin 2024 sur la Scène nationale de Forbach ; les 6 et le 7 juillet 2024 à la Ferme du Buisson de Noisiel.

La Perle