Théâtre de la Porte Saint-Martin : une odyssée magnétique

Valérie Lesort et Christian Hecq reprennent au théâtre de la Porte Saint Martin, « 20 000 lieues sous les mers », petit bijou scénographique créé en 2015 à la Comédie Française. Mettant à l’honneur l’art de la marionnette, le spectacle nous plonge en l’espace d’une heure et demi dans le monde sous-marin aussi enchanteur qu’effrayant de l’auteur Jules Verne. Âmes d’enfants, ne pas s’abstenir !

Tout concourt à plonger le spectateur au cœur d’un voyage théâtral aussi magique que stupéfiant.
Crédits photo : Brigitte Enguerand

DU ROMAN AUX PLANCHES

« Depuis quelques temps, plusieurs navires s’étaient rencontrés sur mer avec une “chose énorme”, un objet long, fusiforme, parfois phosphorescent, infiniment plus vaste et rapide qu’une baleine ». Voilà pour l’ouverture du roman 20 000 lieues sous les mers. Et nul ne sert de pousser plus loin la lecture du roman de Jules Verne pour saisir immédiatement les enjeux d’une telle adaptation théâtrale à vue et sans artifices cinématographiques. C’est le défi que relève le théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu’au 23 juillet 2023. 

Dur, dur de convoquer la mer, ses profondeurs et des monstres marins tels que l’écrivain Jules Verne les décrit…quant à emporter le spectateur à bord d’un sous-marin géant comme le Nautilus, des îles du Pacifique à la banquise du pôle Sud, cela frôle l’irréalisable. Alors qui mieux que les metteurs en scène Christian Hecq et Valérie Lesort pour relever un défi de cette taille ? 

Spécialistes d’un théâtre hybride mêlant jeu d’acteurs, marionnettes et illusion, ces derniers s’emparent du projet et laissent exprimer leur créativité hors normes. Ainsi prend vie l’aventure fantastique du capitaine Nemo, de son second Flippos et de ses naufragés, le professeur Aronnax, l’harponneur Ned et leur fidèle Conseil. 

Crédits photo : Fabrice Robin
« Ainsi prend vie l’aventure fantastique du capitaine Nemo et de son équipage. »

Tout concourt à plonger le spectateur au cœur d’un voyage théâtral aussi magique que stupéfiant : la qualité des décors dont on relèvera la finesse des détails, l’esthétique des marionnettes utilisées, l’environnement sonore ou encore l’intelligence de la mise en scène, délimitant plusieurs espaces de projection pleinement immersifs…Une voix off vient parfaire l’aventure et tient le rôle de narrateur rythmant le récit au fil du temps et de leurs pérégrinations.  

« L’adaptation reste fidèle à l’histoire mais nous en donnons notre version, notre vision. » explique Valérie Lesort. L’adaptation s’avère hyper réaliste et truffée de références historiques. Partis prenants de l’histoire, on se laisse surprendre quand s’allume l’ampoule électrique du Nautilus, petite merveille technologique de l’époque, avant de s’enthousiasmer devant la « mise à l’eau théâtrale » de deux scaphandres autonomes, dont Jules Verne découvre la création lors de l’Exposition Universelle de 1867. 

Le spectacle se permet pourtant quelques petits anachronismes, quand un poisson surgit, emberlificoté dans un sac en plastique … De la préservation de la biodiversité marine, défendue par le personnage écologiste de Nemo à nos thématiques d’actualité, il n’y a donc qu’un pas. Une petite leçon subliminale bienvenue, tout public confondu.

L’adaptation s’avère hyper réaliste et truffée de références historiques. Crédits photos : Fabrice Robin

 DES MARIONNETTES POUR PARTENAIRES

20 000 lieues sous les mers, c’est aussi tout une épopée dans les entrailles des fonds marins, au plus près des créatures qui les peuplent. Et si Jules Verne s’appuie sur les connaissances scientifiques de son époque pour les décrire, de son imaginaire surgissent de nombreuses descriptions d’animaux fantastiques, encore jamais référencés. 

« C’étaient les yeux de crustacés gigantesques, tapis dans leur tanière, des homards géants se redressant comme des hallebardiers et remuant leurs pattes avec un cliquetis de ferraille, des crabes titanesques » raconte-t-il en 1870.

« Il y a une dimension imaginaire forte dans ce roman et rien de tel que le théâtre d’images pour la représenter sur scène » raconte, quant à lui, Christian Hecq. Et pour le metteur en scène, théâtre d’images signifie théâtre de marionnettes. Sans conteste, les vedettes de ce spectacle.

Jaillissant du hublot central du Nautilus, un mérou Goliath s’invite ainsi aux festivités, suivi par un trio de poissons laveurs de vitre, quand d’autres créatures attendent, tapies dans le noir, condition sine qua non d’un leurre réussi. 

Autant dire que le spectateur ne boude pas son plaisir, d’autant que l’humour est également de mise. On s’amuse ainsi devant les pitreries des poissons laveurs de vitre, et on attend avec impatience les apparitions de Flippos, au style et au langage clownesque.

« Il y a une dimension imaginaire forte dans ce roman et rien de tel que le théâtre d’images pour la représenter sur scène » raconte Christian Hecq, le metteur en scène. Crédits photo : Fabrice Robin

Une immersion totale, rendue possible par leur plastique plus vraie que nature et la technicité des comédiens-manipulateurs qui les mettent en mouvement. Passant en une fraction de seconde du rôle d’acteurs à celui d’hommes de l’ombre, leur jeu se révèle à travers la gestuelle et les mimiques d’une grande précision qu’ils impriment à chacune de leurs marionnettes-partenaires. 

« On ne nous voit pas mais on vit avec le poisson » confesse Elliot Jenicot qui a joué dans la première version du spectacle en 2015. En somme, le trucage est si saisissant que l’enchantement est palpable, chez les petits comme les grands. « Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. » Jules Verne l’annonçait déjà dans son roman. Sur scène, le pari est relevé. 

La Perle

« 20 000 lieues sous les mers »
Du 10 mai au 23 juillet 2023

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 Boulevard Saint-Martin 75010 Paris

www.portestmartin.com
Instagram : @theatredelaportesaintmartin