Un Tramway nommé Désir fait escale au Théâtre des Bouffes Parisiens 

La metteuse en scène Pauline Susini entreprend de retranscrire toute la densité de l’œuvre Tennessee Williams. La mise en scène et le jeu maîtrisé des acteurs portent à son comble la tension dramatique propre à l’auteur américain.

Dans un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans, loin des froufrous et paillettes dont elle semble vouloir se parer, Blanche vient trouver refuge chez sa sœur. Crédits : Bouffes Parisiens

Voilà longtemps que le théâtre de Tennessee Williams n’avait pas refait surface sur les planches parisiennes. Après nombre d’adaptations théâtrales et le film mythique d’Elia Kazan, lançant en 1951 la carrière de Marlon Brando, c’est au tour de Pauline Susini, metteuse en scène, de proposer sa lecture d’un Tramway nommé Désir, texte phare de l’auteur américain.

L’occasion pour cette dernière de mettre en lumière, à travers le personnage central de Blanche Dubois, l’histoire d’une femme au profil chaotique, captive d’un monde patriarcal et conservateur émaillé de violences. Pauline Susini revient ainsi à l’un de ses thèmes de prédilection, celui du sexisme et des oppressions faites aux femmes. Elle y retrouve Cristiana Reali dans le rôle de Blanche, après leur collaboration fructueuse sur la pièce Simone Veil, les combats d’une effrontée.

AU PAYS DE DÉSILLUSIONS

« On m’a dit de prendre un tramway nommé Désir, pour un autre nommé Cimetière, et de descendre six rues plus loin, à la station Champs-Elysées » Blanche apparait sur scène. Ce sont ses premières paroles : en elles, le reflet d’une fracture précoce, symptomatique des êtres dépeints par Tennessee Williams.

Dans un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans, loin des froufrous et paillettes dont elle semble vouloir se parer, Blanche vient trouver refuge chez sa sœur, Stella, après la perte de leur domaine familial de Belle-Rêve. Elle y rencontre son mari, Stanley Kowalsky, ouvrier polonais au machisme et à la brutalité confondantes, décidé à percer à jour ses secrets.

Débute dès lors un huis-clos cruel, serpentant au cœur de thématiques chères à Tennessee Williams :  psyché humaine, violence sociale, statut féminin, déclassement social… Cristiana Reali qui incarne le rôle de l’iconique Blanche héroïne névrosée au destin tragique, en est le point culminant. Un challenge qui ne manque pas de convictions.

Crédits photo : Bouffes Parisiens

« Un huis-clos cruel, serpentant au cœur de la psyché humaine »

À REBOURS DE LA « FOLIE FÉMININE »

Si Tennessee Williams reste encore de nos jours l’un des dramaturges les plus joués, c’est assurément grâce à son regard si caractéristique, cru et sans complaisance sur la condition humaine. Ses personnages se veulent complexes, tortueux, pétris de failles et d’anfractuosités. Blanche en est l’exemple même.

Femme aux multiples polarités, tenue instinctivement pour folle, elle se révèle surtout inclassable, en perpétuel décalage avec ceux qui l’entourent. Brutalisée par les hommes qu’elle côtoie, tourmentée par son passé, celle-ci tente de tromper la réalité en s’inventant une vie parallèle, faite de faux-semblants et de fantasmes idéalisés.

Pour tous les acteurs qui côtoient l’œuvre de Tennessee Williams, le défi est immense. Sans conteste, Cristiana Reali (Blanche) Nicolas Avinée (Stanley), Alysson Paradis (Stella) et Lionel Abelanski (Mitch) le relèvent avec force. Tantôt ingénue candide, tantôt mythomane troublante, Cristiana Reali réussit à capter l’essence de son personnage, malgré une partition d’une subtilité épineuse. Flirtant avec les limites du surjeu, celle-ci livre toutefois une prestation touchante d’humanité. À l’arrivée, face à un Nicolas Avinée tout aussi explosif qu’imprévisible, sa Blanche ne manque pas de nous rappeler à quel destin tant de femmes présumées hystériques ont été confrontées.

Bien qu’esthétique, la scénographie apparait trop mignonnette pour figurer l'environnement, bruyant et étouffant de ces personnages . Crédits : Bouffes Parisiens

Chez Tennessee Williams, point d’esthétisme ni d’enjolivement. Sa description du réel, poussée à l’extrême, traduit une recherche d’authenticité marquée par le contexte des années d’après-guerre. En découle une écriture particulièrement puissante, viscérale, quasi sensorielle. Peut-être est-ce sur ce point que l’adaptation de Pauline Susini pêche in fine.

Malgré l’utilisation astucieuse de grands rideaux de tulle vaporeux, le décor peine à évoquer l’appartement  étriqué dans lequel se côtoient Blanche, Stella et Stanley, laissant parfois s’affaiblir la tension dramatique escomptée. Bien qu’esthétique, la scénographie apparait trop mignonnette pour figurer l’environnement, bruyant et étouffant, de ce quartier populaire de la Nouvelle Orléans.

Tout ce qui se joue, en dedans et au dehors, concourt pourtant à entraîner Blanche aux confins de sa déchéance annoncée. Plus de suggestions d’ambiance auraient ainsi permis de rendre à cette revisite tout son caractère organique et enfiévré. Sans que le public ne s’en trouve tout à fait retourné, Pauline Susini offre néanmoins, avec ses acteurs, un Tramway nommé désir de qualité qui mérite le coup d’oeil et des applaudissements renouvelés.

Amandine Violé

La Perle

« Un Tramway nommé désir » de Tennessee Williams
Du 13 mars au 28 avril 2024 

Théâtre des Bouffes Parisiens
4 rue Monsigny 75002 Paris 

www.bouffesparisiens.com
Instagram : @bouffesparisiens