Ken Domon, la renaissance de l’archipel

La Maison de la Culture du Japon propose, jusqu’au 13 juillet 2023, de faire découvrir au public français l’œuvre de Domon Ken, le fondateur de la photographie réaliste japonaise. Retour sur l’œuvre de cet artiste adulé dans son pays mais très peu connu en dehors de l’archipel.

Ken Domon, Le Dôme de la bombe atomique et la rivière Motoyasu, photographie de la série Hiroshima, 1957

Véritable référence artistique dans son pays, le japonais Domon Ken fait l’objet de sa toute première rétrospective française à la Maison de la Culture du Japon. Une plongée millimétrée dans l’archipel d’après-guerre, entre scène de vie et propagande. Jusqu’au 13 juillet 2023.

Domon Ken rencontre la photographie dans les années 1930, au moment d’une effervescence technique et artistique forte. En 1935, il intègre la jeune agence de photojournalisme Nippon Kobo, dont le magazine Nippon cherche à promouvoir la culture japonaise à l’étranger. 

SORTIR DE LA TRADITION JAPONAISE

Le principe de la revue est directement inspiré du magazine allemand  Berliner Illustriete Zeitung auquel a collaboré un des cofondateurs. La revue berlinoise, résolument avant-gardiste, est la première à accorder une importance significative à la photographie, qui s’émancipe dès lors du caractère exclusivement illustratif auquel elle avait été cantonnée jusqu’alors. 

Au sein du studio, designers, graphistes et photographes s’attèlent à redéfinir l’esthétique japonaise. Kamekura, directeur artistique de l’agence et créateur des célèbres affiches des Jeux Olympiques de Tokyo de 1972, fait partie de ceux-là. 

À l’instar de ce dernier, Domon Ken affirme vouloir rompre avec la joliesse caractéristique des œuvres japonaises de l’époque. Loin des vignettes photographiques proches d’une illustration populaire, Domon Ken propose des compositions dynamiques rythmées par des masses noires. 

Ken Domon, Femmes se promenant, Sendai, 1950, collection du Ken Domon Museum of Photography
Domon Ken documente la mutation du japon après la seconde
guerre mondiale.

Participant à la propagande de l’état japonais, il se conforme aux principes esthétiques officiels que sont la plongée ou la contreplongée, la convergence des lignes de construction, de forts contrastes ou encore des effets de symétrie : autant de techniques visant à exalter la cohésion du peuple japonais représenté. 

Cette prise d’indépendance vis-à-vis des codes traditionnels se retrouve également dans les photographies qu’il effectue dans le but de dépeindre la culture nippone pour le compte de l’agence. Elle va de pair avec l’essor du photojournalisme.

L’OEIL DU PHOTOREPORTER

En effet, Domon Ken est essentiellement passé à la postérité dans son pays pour avoir documenté les mutations du Japon après la Seconde guerre mondiale. Car, c’est d’un nouveau langage dont a besoin la photographie pour relater à la fois l’occupation par les Américains, le développement industriel, et la misère des préfectures délaissées par cet essor économique. 

Pour cela, Domon Ken propose des photographies explicites dont le sujet est immédiatement saisissable par un œil japonais de l’époque : les pêcheuses ama, comme le quartier Ginza de Tokyo, parlent à un large public. Certains titres de photographies (Enfant sans son père, Sœurs sans leur mère) sont aussi des gages de cette volonté d’explicitation. 

Si la photographie d’enfants est très répandue dans les années 1950, Domon Ken est un des derniers à s’y intéresser, à la fois par refus de la facilité, et par peur de tomber dans l’anecdotique ou de montrer un Japon trop défaitiste. 

Fort de cet état d’esprit, il parvient à restituer la résilience et le courage des enfants laissés seuls par leurs parents partis travailler ou décédés. De la même manière, sa série sur Hiroshima, réalisée douze ans après le drame, évite l’écueil du misérabilisme en montrant des scènes de vie et en documentant consciencieusement les progrès de la médecine. 

Soucieux de s’adresser au plus grand nombre, Domon Ken décide de publier sa série Les enfants de Chikuhô sur du papier de pauvre qualité afin de la rendre abordable : ce sera un succès commercial. Progressivement, l’artiste-photographe trouve sa place dans le paysage culturel des années 1950, grâce à l’exercice du photoreportage.

UNE MISE EN SCÈNE DE LA RÉALITÉ

On pourrait croire que les scènes urbaines peuplées d’anonymes sont le fruit d’un regard neutre voire impersonnel qui se contente de proposer des tableaux pittoresques pour véhiculer une certaine image du Japon. On pourrait croire que les cadrages quelque fois tronqués et les expressions grimaçantes des modèles qui ne prennent pas la pose trahissent l’empressement d’un photographe à saisir des moments sur le vif. Mais il n’en est rien : Domon Ken prenait parfois plusieurs heures à réaliser un portrait, sans égard pour ses modèles. 

Il n’existe pas d’instant volé dans la photographie de cet artiste qui incitait les enfants à jouer devant son objectif moyennant une récompense. Le choix de thèmes à succès (personnalités connues, enfants) et la mise en scène de ses modèles rappellent que Domon Ken est avant tout un photographe de presse cherchant à vendre ses clichés. 

Crédits photo : Ken Domon, Femmes se promenant, Sendai, 1950, collection du Ken Domon Museum of Photography

Véritable maître de composition, il doit certainement ses cadrages à l’influence de l’artiste français Henri Cartier-Bresson, dont les photographies exercent comme une sélection du réel et parviennent à évincer la possibilité d’un hors-champ. Ce parti pris concentre l’attention sur le motif et agit comme une affirmation du regard du photographe qui se confronte à son sujet, quitte à montrer des détails incongrus. 

Selon l’historien Michael Lucken, la singularité de Domon Ken résulte de cette rencontre entre une composition parfois classique, reliquat de ses années de photographie de propagande, et la présence d’éléments fortuits ou cocasses. Un travail jusqu’alors peu connu de l’Occident. La Maison de la Culture du Japon répare enfin cette injustice, pour le plus grand plaisir du public. 

La Perle

« Ken Domon, le maître du réalisme japonais »
Du 26 avril au 13 juillet 2023

Maison de la culture du Japon
101 bis Quai Jacques Chirac 75015 Paris

www.mcjp.fr
Instagram : @mcjp_officiel