Au musée du Quai Branly, une exposition raconte comment le patrimoine indien traditionnel participe de l’aura idolâtre des acteurs et actrices de Bollywood. Dans l’industrie cinématographique de Bombay, la plus productive au monde, les « superstars » font fonction d’emblème, aussi bien à l’écran que dans leur vie publique.
En transparence de l’écran, on aperçoit une peinture sur toile au fond de la pièce. Le vidéo-projecteur tourne un film : la scène qui passe est tirée de La Famille indienne (2001), un classique dramatique rassemblant un casting de comédiens, sublimés par le gros plan et le filtre kitch. La peinture de temple, elle, date du XIXème siècle. Elle représente une scène mythologique, sertie de divinités. Les deux fresques de personnages peints et filmés se superposent, à quelques mètres d’écart : comme si les dieux pouvaient être des acteurs, comme si les acteurs pouvaient remplacer les dieux.
L’exposition « Bollywood Superstars. Histoire d’un cinéma indien » joue habilement sur cette ambiguïté. Au musée du Quai Branly, elle raconte, jusqu’au 14 janvier, l’évolution vertigineuse de l’industrie cinématographique de Bombay, dans laquelle les acteurs et actrices font presque fonction d’idoles de grand écran. Un rayonnement qu’on doit tant au patrimoine indien qu’au fonctionnement même de l’industrie de Bollywood.
DES MYTHES VIVANTS
Forte d’un patrimoine historique et mythologique très ancré, l’Inde s’impose, dès le début du XXème siècle, comme le terreau fertile à l’épanouissement du cinéma : on porte à l’écran des épopées hindoues vieilles de plusieurs millénaires, dans lesquelles les acteurs tiennent les rôles de princes, princesses, déesses ou maharajas.
Le public populaire, déjà habitué aux spectacles de lanternes magiques, est immédiatement conquis par ce nouveau médium qui lui raconte des histoires familières. Dans les salles, on chante, on danse, on crie : le cinéma est une activité bruyante et conviviale. Après 1947, année de l’indépendance de l’Inde, le cinéma devient même un outil de fédération nationale pour supplanter le souvenir de la colonisation britannique.
Dès lors, le cinéma de Bollywood s’impose comme le prolongement identitaire des cultures du pays. On y importe les musiques et danses traditionnelles régionales. Certaines chorégraphies ou passages de films deviennent iconiques, au point d’être apprises par coeur et reproduites lors de mariages ou évènements. À la manière des autels sacrés trônant dans tous les foyers hindous, les acteurs de Bollywood pénètrent, eux aussi, dans le quotidien intime des familles indiennes.
« On porte à l’écran des épopées hindoues vieilles de plusieurs millénaires. »
L’exposition insiste sur l’importance de ce patrimoine, historique et musical, celui qui dessine une aura presque légendaire autour des acteurs. Ils sont le visage des personnages mythiques. Hypnotisante, une salle circulaire de miroirs projette, dans un « effet kaléidoscope », des scènes, elles aussi, mythiques. Sur les performances de comédiens, qui dansent et chantent en playback, repose souvent le succès du film.
Ce potentiel fantasmagorique, le réalisateur et producteur Sanjay Leela Bhansali le pousse à son paroxysme. Ses superproductions portent à l’écran de grandes épopées de l’Histoire indienne, projetées dans l’exposition, comme Padmaavat (2018) sur l’histoire de la reine médiévale Padmaavati ou Bajirao Mastani (2015) sur la lutte de l’empereur Bajirao Ier contre les envahisseurs Moghols au XVIIIème siècle. Sanjay Leela Bhansali compte sur de grandes têtes d’affiche : Ranvir Singh, Deepika Padukone ou Shahid Kapoor, des acteurs et actrices adulés en Inde.
DES ACTEURS "STARIFIÉS"
Ce culte charismatique n’a pourtant rien de récent. Il perdure au moins depuis les années 1940, début de l’Âge d’or de Bollywood. On y voit apparaître les premières têtes d’affiche : la rumeur court à l’époque, raconte l’exposition, que les comédiens tournent un film le matin, un autre l’après-midi, et un troisième le soir. Autrefois dépendants des studios de cinéma, ils sont plus libres des films qu’ils tournent et du rythme qu’ils se donnent. Pour les avoir dans leurs films, de nouveaux producteurs leur proposent des cachets mirobolants.
Mais l’ère des superstars émerge véritablement autour des années 1970, en la figure d’Amitabh Bachchan. Ce « jeune homme en colère », comme le surnomme le public, devient le véritable emblème de Bollywood. Il incarne, à l’époque, un jeune premier porteur de l’idéal masculin, viril, courageux, attaché aux valeurs indiennes. Une salle de cinéma reconstituée est uniquement dédiée a ses grands classiques. Une aura qui fait aujourd’hui de lui, un patriarche du cinéma de Bollywood.
L’industrie suit d’ailleurs les tendances des époques et s’ouvre à un métissage qui lui permet de perdurer, entre patrimoine traditionnel et élan plus moderne. Dans une Inde en plein développement, celle des années 1990, ce sont des figures comme Shahrukh Khan, Salman Khan, mais aussi Kajol, Madhuri Dixit ou Aishwarya Rai Bachchan qui s’imposent à l’écran.
Mais cette génération reste relativement peu évoquée dans l’exposition alors même que leurs visages sont plus connus du public occidental. Il aurait sans doute fallu remplacer les installations tape-à-l’oeil et les dispositifs ludiques – un écran de réalité augmentée nous permet de danser dans des scènes de film – par une section supplémentaire dédiée aux périodes plus proches de la nôtre.
L’exposition semble presque oublier un pan de l’Histoire de l’industrie, et au passage une bonne partie de ses acteurs vedettes. « Bollywood Superstars » offre une légitimité historique à l’industrie mais hésite entre des éléments trop survolés, ou trop spécifiques, comme le cinéma d’auteur. Elle lui néglige une approche plus incarnée, celle des « superstars » du titre de l’exposition, qui aurait permis au public d’en mémoriser davantage. Ce qu’on retient au cinéma, sont les visages.
Perla Msika
La Perle
« Bollywood Superstars. Histoire d’un cinéma indien »
Du 26 septembre 2024 au 04 janvier 2024
Musée du Quai Branly
37 quai Branly, 75007 Paris
www.quaibranly.fr
Instagram : @quaibranly