Subodh Gupta : de la cuisine à la voie lactée

L’artiste indien plonge dans le patrimoine culturel et spirituel de son pays pour présenter des œuvres aussi troublantes qu’impressionnantes. Actuellement à la Monnaie de Paris.

A very hungry God – 2016. Crédit photo : Perla Msika.

« Croyez-vous en Dieu ? » Simple mais épineuse question. Les plus certains d’entre nous répondent par « oui » ou par « non ». Seulement voilà : l’artiste est un individu tourmenté. Il ne saurait prendre parti – ou alors son œuvre serait bien ennuyeuse. Subodh Gupta s’est décidé à ne pas choisir ; et pour ce faire, il nous donne rendez-vous pour une exposition à la Monnaie de Paris, à mi-chemin entre les hauteurs du cosmos et la trivialité populaire. Une totale et enivrante perte de repères.

A LA TABLE DE SUBODH GUPTA

C’est en cuisine, un endroit bien familier, que débute pourtant la visite avec Jutha. Gupta nous avait prévenu : « Si je n’étais pas devenu artiste, j’aurais été cuisinier. » confie-t-il. Tout au long de son exposition, l’art culinaire prend dès lors une place considérable : ustensiles, aliments, recettes et repas s’entremêlent… ce qui n’est pas si surprenant quand on y pense. Nul autre activité humaine n’oscille à ce point entre le commun et le spirituel. En Inde, par exemple, dont l’artiste est originaire, les traditions culinaires sont partie intégrante du foyer et des fêtes religieuses. En Occident, les legs du monothéisme n’échappent pas à la règle non plus : du salé ou sucré, l’agneau du Ramadan, le pain azyme de Pessah ou encore les chocolats de Pâques. En d’autres termes, qui que vous soyez, et même avec la plus grande volonté du monde, vous n’échapperez pas à quelques saint kilos superflus.

Hantée par a very hungry god, l’étincelante salle Guillaume Dupré de la Monnaie de Paris renferme un monstre de métal : faite d’ustensiles en inox, une gigantesque tête de mort siège au centre de la pièce. Comme un revers de la médaille, ces clinquants outils recèlent la peur d’un grand nombre de foyers indiens : le spectre de la faim. Imposante et terrifiante, l’œuvre pérennise l’étrange atmosphère qui ne quittera pas le visiteur jusqu’à la fin de l’expérience.

A partir de là, deux niveaux de lecture s’ouvrent à nous. Certains se limiteront à l’aspect esthétique, qui n’est pas négligeable : l’œuvre de Gupta est tout ce qu’il y a de plus « instagrammable. » D’autres chercheront les références et les concepts. Pour ces privilégiés, l’art contemporain s’apprécie comme un livre ouvert : There is always cinema 3 salue Duchamp et Sherrie Levine. Bref, une fois de plus, qui que vous soyez, l’art de Gupta est à portée de main. 

COMME AU CINÉMA

Autre grande caractéristique de la culture indienne : le cinéma. Toute une partie de l’exposition y est dédiée… mais pas de la façon qu’on croit. En fan hystérique de Bollywood, j’espérais croiser Shah Rukh Khan à chaque coin de pièce. À la place, j’y ai découvert l’ironie de l’artiste vis à vis de sa société, de sa culture et bien sûr, du cinéma lui-même. Car oui, cet univers à la fois kitsch et clinquant mérite qu’on s’y attarde un peu, mais pas trop longtemps … je refuse de nuire à mon péché mignon. Outre le passager du train fredonnant les classiques bollywoodiens et les bobines dorées, Gupta fait apparaître au travers de classiques populaires, le fantasme du voyage face à la réalité de l’exil : une barque suspendue entourée de pots , la subsistance par la vente régulière de lait – Two Cows –, ou le périple de migrants indiens vers le Moyen Orient.

Frappée d’un coup par un bruit tonitruant et monstrueux, je fus arrachée à mes pensées ; comme si un train venait juste de rouler à deux centimètres de ma tête. Au fond du couloir, j’aperçois une petite fille, qui, aussi surprise que moi, court se réfugier dans les bras de sa mère. Il s’agit, je crois, de l’effet escompté. Dans cette pièce aux miroirs déformants, le grondement assourdissant d’Anahad fait gigoter les miroirs jusqu’à ce qu’on ne puisse même plus déceler son propre reflet. Troublant.

Cette dernière expérience aurait fait une bonne conclusion au travail de l’artiste. Mais, pour reprendre le domaine culinaire l’exposition s’achève « en queue de poisson ». Au-delà de la traditionnelle porte fermée à clé qu’on souhaiterait ouvrir, l’art vidéo n’est pas ce qu’il y a de plus exaltant. Cela était sans compter l’arbre ensoleillé et tentaculaire de la grande cour : Alléluia ! Le People Tree de Gupta saura combler notre petit creux… 

Perla Msika

La Perle

 Subodh Gupta Adda
du 13 avril 2017 au 26 août 2018
Monnaie de Paris
11 Quai de Conti 75006 Paris
Commissaire d’exposition : Camille Morineau et Mathilde de Croix