Au Carré de Baudoin, les œuvres des artistes entrent en contact avec la société. Dans une atmosphère onirique et urbaine, l’exposition “Des grains de sable” évoque la société actuelle et les réflexions possibles pour la réinventer.
Un présent à réinventer. Un futur à anticiper. Ce sont les mots qui semblent animer les artistes de l’exposition « Des grains de sable ». Au Carré de Baudouin, cette exposition collective présente les travaux des six artistes lauréats de la dernière édition du prix « 1% du marché de l’art« . Ouverte jusqu’au 14 décembre, c’est dans le 20ème arrondissement, au Carré de Baudouin, que l’exposition a pris ses quartiers. Le prix, doté d’environ 15 000 euros par artiste, a permis notamment la réalisation des pièces présentées.
À travers quatre salles dont deux de projections, le visiteur déambule, en quête de “grains de sable”. L’organisation nous confie qu’il n’est pas forcément tâche aisée de tisser un fil rouge lorsqu’une exposition rassemble la sélection d’un jury, mais défend l’intitulé de l’exposition : le grain de sable du marchand de sable, celui qui provoque les rêves et ouvre les possibilités.
La métaphore pousse à la réflexion. Et la qualité des œuvres présentées demeure intacte. L’exposition dessine une même inspiration : les six artistes exposés questionnent notre société, avec une attention toute particulière pour la ville et son environnement.
Penser l'avenir entre rêve et fiction
Mode de vie, travail, consommation, politique, l’exposition creuse profond dans l’urbain et dans ces futurs possibles. Nous retenons une forme d’angoisse systémique, traduite par la beauté de l’art et du savoir-faire.
Prosper Legault travaille la matière pour donner vie à des sculptures faites d’enseignes de commerces, de néons et de références à la pop culture. Souvenirs de Paris 2024 est une installation associée au texte écrit et lu par le poète haïtien Jean d’Amérique. Il explique :
"C’est le vernaculaire, le quotidien, l’ordinaire, qui devient extraordinaire d’une autre manière. J'aime cette pratique" explique Prosper Legault
Elsa Sahal aussi sculpte. Dans ses œuvres, le féminisme se mue en céramiques aux attributs humains, teintées de fragilité par leurs fleurs-seins de verre, mais solides avec ces bas de corps en céramiques vêtus de robes fourreau. L’artiste, qui travaille avec la galerie Papillon à Paris, défend la céramique comme un médium de la sculpture à part entière.
L’œuvre Obstructions de Paul Heintz propose une réflexion militante sur le corps au travail. Entre film et installation – la salle étant disposée avec un écran faisant face à des plans sur des plaques d’aluminium-, l’artiste questionne notamment l’injonction à la performance et la course à la vitesse dans le monde du travail d’aujourd’hui.
Avec Chloé Quenum, c’est aussi notre sommeil qui est mis sous pression. Elle nous parle d’états transitoires lorsque l’on s’échappe vers un rêve, mais aussi d’inégalités du sommeil, questionnant par exemple, la condition des migrants. Elle revisite notamment l’appui tête, ancêtre de l’oreiller, associé à une chaise longue ondulée sur laquelle est posée un vêtement en vinyle. L’artiste, actuellement résidente de la Villa Médicis en Italie, accorde une grande importance au matériau.
Comme Paul Heintz, Liv Schulman a aussi fait le choix du film. Elle pointe du doigt ce qu’elle perçoit comme les dérives absurdes du capitalisme, notamment en présentant des t-shirts porteurs de slogans critiques.
"Le film essaie de faire une sorte de portrait sur trois axes : la crise économique, les problèmes psychiatriques et une méthode contraceptive révolutionnaire qui serait née de la nécessité de modifier la classe politique. C’est une forme de documentaire, mais écrit comme une fiction"
La fiction, une source d’évasion partagée par un grand nombre, comme ces dioramas réalisés par Mounir Ayache. Cette installation multimédia avec jeu vidéo interactif répond à l’univers de l’artiste franco-marocain : il aborde les questions d’identité par le biais de la science-fiction. Son art projette les défis actuels vers l’avenir.
Une approche récurrente pour celui qu’on a notamment vu à “Arabofuturs”, la dernière exposition tendance science-fiction de l’Institut du monde arabe. « En 2022, j’avais un projet de recherche sur le personnage Léon L’Africain (ndlr, un diplomate de la Renaissance). C’était un projet d’écriture dans lequel je faisais voyager ce personnage historique ayant vécu au 16e siècle, au 26e siècle ». L’œuvre exposée dans « Des grains de sables » reprend ce projet.
Le succès de "l'ultra contemporain"
Le prix « 1% du marché de l’art », organisé par la Ville de Paris et le Crédit municipal de Paris, a toujours défendu l’art contemporain depuis sa création en 2019. Cette année s’inscrit spécifiquement dans la création ultra-contemporaine. Autrement dit, les artistes de moins de quarante ans.
Mis en chiffres, l’art ultra-contemporain représente 15,5% du marché de l’art contemporain mondial en 2022 pour un produit des ventes de 200,9 millions de dollars, et 12% du marché en 2023, selon les rapports annuels Artprice.
L’exposition est par ailleurs complétée d’un cycle de conférences, les jeudis nocturnes, dans l’auditorium du Carré de Baudoin. Des discussions entre les artistes exposés et des professionnels du monde de l’art et de la culture accessibles sur réservation.
À la fois ancré dans le réel et porté par des imaginaires, le propos artistique est ici solide, engagé, et illustre la vitalité de la scène artistique française. En réinventant les formats et les matériaux, les six artistes de l’exposition clôturent ce chapitre du prix de la ville de Paris et offrent, comme un rêve devenu réalité, une révérence audacieuse et prometteuse.
Charles Gaucher
La Perle
Exposition « Des grains de sable »
Du 12 octobre au 14 décembre 2024
Carré de Baudouin
121 Rue de Ménilmontant, 75020 Paris
www.pavilloncarredebaudouin.fr
Instagram : @carredebaudouin