Anna Waisman, l’artiste qui dessinait le langage

La Drawing House raconte la quête philosophique de cette artiste qui a vu dans le langage et les lettres,
un moyen de pousser son oeuvre et son existence dans ses retranchements.

Danseuse depuis l'adolescence, Anna Waisman cherche dans la sculpture une autre forme de musicalité. Crédits photo : Anna Waisman en 1994 Jacky Azoulay

Au centre des dessins à l’encre de chine ou au stylo-bille, des petites traces se multiplient, semblent vouloir sortir du cadre pour se faufiler dans celui voisin. Telle est l’esthétique d’Anna Waisman. Avec patience, l’artiste écoute les lettres, les côtoie et les sculpte pour en comprendre leur essence et leur sens.

Quel rapport entretenir avec le langage? Pouvons-nous ressentir la musicalité des lettres ? Du 12 septembre au 1er octobre, la Drawing House accueille donc l’exposition « Anna Waisman, Mouvements » à quelques pas du quartier de Montparnasse du XIVème arrondissement de Paris. La large variété d’œuvres réunies témoigne de l’inépuisable persévérance d’une artiste dont l’effervescence philosophique cherchait à interroger notre existence.

RIEN QUE DES POINTS ET DES TRAITS

Comme les caractères les plus basiques d’un alphabet hautement complexe, ces points et traits animent des feuilles blanches, muettes et dénuées de sens. Pour Anna Waisman, ce lexique de points et de traits lui permettra, à terme, d’offrir des pistes de réflexion à son âme assoiffée de questions.

Pendant les dix années suivant son accouchement, celle qui avait sculpté la pierre dans un atelier à ciel ouvert aux bords de la Seine, choisit de se mettre au dessin. Elle dit alors avoir laissé libre cours à l’automatisme de son cerveau.

Des années durant, elle ne fait que des points et des traits sans savoir où elle va. Néanmoins, elle persévère. Avec la force d’une femme qui sait constamment se réinventer, elle suit cette lueur d’espoir qui lui dit d’aller de l’avant.

« Des années durant, elle ne dessine que des points et des traits » 

LA DÉCOUVERTE DE L'ALPHABET HÉBREU

Puis, en 1972, ces traits et points sur papier se transforment en sculptures de lettres hébraïques anciennes. Le point devient alors le Youd et le trait devient le Vav, deux lettres fondamentales dans l’alphabet hébraïque.

Petit à petit, elle taille dans la pierre toutes les lettres de l’alphabet. Son mari est de croyance juive, mais elle dit avoir découvert le judaïsme à travers la sculpture, en forgeant les lettres. Pourtant, ce langage qu’elle considère un « chef-d’œuvre », et qu’elle désigne comme la source de l’art juif, lui donne du fil à retordre.

Danseuse étoile depuis ses 15 ans, elle s’invente une quête personnelle, celle de trouver la musicalité dans les lettres. Ces lettres, elle les érige et les invente dans l’espace pour en dénicher le message. Elle se bat pour en capturer la substance, en restant des heures devant la pierre, en attendant « une faille propice au dialogue entre elle et la matière. »

Elle passe parfois des heures à les écouter. En espérant que le travail effréné, même s’il la consomme, va lui permettre de se rapprocher de cette énergie invisible qu’elle prétend voir, elle ne cesse de tailler la pierre munie de son marteau et de sa smille.

Ses sculptures sont lisses, luisantes, élancées, élégantes. La pierre, pourtant incroyablement difficile à manier, semble ici douce et prête à se ramollir sous l’effleurement d’une main. Parfois, elle dit parler aux lettres. Elle dit avoir un langage secret avec elles, de sorte qu’elles puissent se confier à elle. 

Anna Waisman découvre la poésie de l'alphabet hébreu. Crédits photo : Nikita Dalla Vedova

TROUVER LA MUSICALITÉ

Trouver la musicalité des lettres? Pour le philosophe André Neher avec qui elle entretient une relation épistolaire, il s’agit là, plus que d’un simple intérêt, mais bien du devoir d’Anna Waisman de donner du sens à ces lettres. Lors d’un de leurs derniers échanges, il lui dit: « Votre âme sert à Dieu lorsqu’elle demande à vos doigts de faire surgir de la matière l’esprit des lettres. »

Anna Waisman disait lire les textes sacrés pour comprendre le poids de son existence, pour découvrir qui elle était au fond de tout cet « orgueil » et de ses « dons ». Or, sa pratique artistique dépasse de loin la simple recherche de ce qui est le haut et le bas, de ce qui sépare le divin du terrestre.

Commissionnée par sa belle-fille Sybille Blumenfeld, qui dit vouloir remédier à l’incompréhension de l’œuvre d’Anna Waisman, cette exposition fait honneur à une artiste polyvalente. Une sélection d’œuvres très intime donc, mais dont la force du message parvient aujourd’hui à la replacer sous les feux des projecteurs. 

Nikita Dalla Vedova

La Perle

Exposition « Anna Waisman, Mouvements »
Du 12 septembre au 1er octobre 2023

Drawing House
21 rue Vercingétorix 75014 Paris – France

www.drawinghouse.com
Instagram : drawinghouseparis