Christian Boltanski s’en est allé le 14 juillet dernier. Jour de fête nationale et donc jour de mémoire, l’homme qui se souvient a pris le large, en bons termes avec la mort. Déjà de son vivant, Boltanski la fréquentait. Le souvenir pour barrage, il affrontait le trépas comme personne, restituant une dignité à toutes les existences. Sa rétrospective au Centre Pompidou avait, en 2019, été l’occasion d’une interview de quelques minutes. Des propos jamais publiés – destin ou acte manqué – qui, aujourd’hui, résonnent avec son départ.
Souhaitez-vous redonner une dignité à des tranches de vies oubliées ?
Il y a beaucoup de monde et beaucoup de morts dans cette exposition, mais pas forcément d’histoires tragiques. Vous savez, j’ai écrit beaucoup de livres où je ne faisais que mentionner le nom de personnes disparues. Et pour moi, écrire le nom ou afficher la photo d’un mort, c’est – comme le veut une vieille tradition – lui redonner vie.
Comme souvent lorsque vous exposez, votre rétrospective n’indique aucun cartel, aucune information. Pourquoi ?
Mon travail ne constitue qu’une seule œuvre. Sans cartel, le visiteur se retrouve face à l’œuvre et permet une réflexion sur lui-même dans une liberté complète. Il se pose des questions, ressent des émotions avant de retourner dans la vie de tous les jours. Une exposition est un endroit pour poser des questions. Chacun erre dans ce lieu pour chercher – et trouver si c’est possible – sa propre parabole.
On ne peut passer à côté de votre travail sans interroger la place de la Lumière…
La lumière est, pour moi, une image de la fragilité de la vie. Tantôt allumées, tantôt éteintes, les ampoules suspendues créent une sorte d’atmosphère générale et une unité au cœur de l’exposition et de l’existence. Comme les bougies dans les églises.
Vous exposez aujourd’hui au Centre Pompidou. Près de Matisse, de Picasso, de Van Gogh, de Klein… Quel sentiment cela vous procure ?
Je pense être un artiste extrêmement traditionnel puisque mes sujets le sont : chercher Dieu, pourquoi on meurt, le sexe, la beauté de la nature, etc… Je m’inscrire dans le travail et les sujets de mes prédécesseurs à la différence que j’emploie le langage de mon temps : la vidéo, l’ordinateur, les installations. C’est comme en littérature : la jalousie n’a pas beaucoup changé depuis Jean Racine sauf qu’aujourd’hui on ne parle plus en alexandrins.
En abordant des sujets universels, vous donnez l’occasion de toucher tout le monde et pas uniquement les personnes au fait de l’art contemporain…
Je pense que l’art est accessible à tous car je pose des questions universelles et donc que chacun se pose. Je m’en suis rendu compte en voyageant dans des pays très différents, notamment en Asie où les gens ont été très touchés par mon travail. C’est toujours celui qui regarde qui termine l’œuvre. Et la première fois que j’ai exposé au Japon (ndlr, Les Archives du Cœur à Teshima qui recensent des battements du cœur des visiteurs. L’éclairage d’une ampoule au cœur de la pièce dépend du battement enregistré), les visiteurs étaient persuadés que j’avais un membre de ma famille qui était japonais tant mon travail les touchait.