Expositions

Christian Boltanski se souvient

L'artiste français mêle souvenirs intimes et mémoires collectives dans une rétrospective inédite au Centre Pompidou. Des installations lumineuses, entre réconfort et recueillement.

Crépuscule – 2015. Crédit photo : Perla Msika.

Une légende juive raconte qu’un enfant, encore au chaud dans le ventre de sa mère, sait tout. Vraiment tout. Le passé, le présent, l’avenir ; le secret de la vie, et la mémoire du monde. Mais à la minute où il pousse son premier cri, l’enfant, réduit au silence par le doigt d’un ange, oublie tout ce qu’il sait. Il passe alors le reste de sa vie à rechercher la connaissance qu’il a perdue.

L’œuvre de Christian Boltanski constitue l’art de cette quête. Comme il l’explique si bien, tout être humain trouve devant lui une porte fermée dont il doit retrouver la clé. Peut-être la trouvera-t-il. Peut-être pas. L’important pour l’artiste, reste de la chercher. C’est en ce sens, que son exposition rétrospective, actuellement au Centre Pompidou, propose au visiteur de (re)trouver la mémoire. 

Top Départ. Installation haut perchée à l’entrée du parcours, l’artiste fait de la vie – sinon de sa vie – une course au cours de laquelle chaque visiteur trouve son rythme. Mais quel accueil tout de même ! À peine avons-nous passé le seuil, que l’Homme qui tousse – qui s’égosille serait plus juste – nous donne presque envie de faire marche arrière. On poursuit néanmoins. 

On aurait eu tort de reculer. Est-ce la quiétude dispersée par ces lumières suspendues ? Est-ce la nostalgie animée par l’art du souvenir ? Ou même la malicieuse impression de percer le jardin secret de l’artiste ? On ne sait pas vraiment. Ce qu’on ressent pourtant, c’est le bien-être d’un art total dans lequel on se plonge simplement. Pas de cartels, pas de textes. Les œuvres se succèdent pour notre seule émotion. C’est là toute la beauté de Boltanski. 

Attendez-vous à faire des rencontres. L’artiste est bien connu pour redonner légitimité à des visages, du moins à des tranches de vies parfois oubliées. Rien de véritablement tragique. Mais, bien au contraire, la plus belle démarche qui soit : Boltanski nous fait savoir combien l’art peut résider en toute chose. En ce que nous avons de plus commun. Dans les objets du quotidien, dans les albums photos poussiéreux, dans les battements de notre cœur. Cette dernière œuvre, Cœur, relie l’intensité d’éclairage d’une ampoule aux battements de cœur de l’artiste. C’est d’ailleurs au Japon, sur l’île de Teshima, que l’artiste, dans le prolongement de ce Coeur, enregistrera en un même lieu, plus de 70 000 battements issus de différents pays. Pas de frontières pour Boltanski. 

Pour ma part, on ne se refait pas. Ce que j’aime chez Boltanski, c’est encore et toujours la lumière. La lumière sous toutes ses formes. Celle qui éclaire les souvenirs, du plus banal des évènements – Les Regards ou Monument collège Hulst – aux étapes plus douloureuses – Mes morts

Mais entre- temps, l’artiste s’est aussi perfectionné dans l’art de l’hommage. Plusieurs de ses œuvres, parmi lesquelles Autel chases, rendent hommage à des personnes disparues, restituant à chacune d’entre elles, la flamme autrefois réservée au soldat inconnu. 

À cette poésie du message, il faut bien ajouter l’invocation des sens. La vue, l’ouïe, même l’odorat sont requis pour la pleine appréciation des œuvres. À défaut de se perdre dans un cartel, le visiteur s’imprègne de l’odeur herbacée d’Animitas Chili, du doux son de clochettes d’Animitas blanc ou encore de la puissance lumineuse de Crépuscule

Voilà pour la recette Boltanski. L’identité de son œuvre incarne précisément le phénomène de fascination exercé par l’art. L’ambivalence portée par son Théâtre d’ombres fait gamberger l’esprit du spectateur : on aime, on n’aime pas. On veut voir mais on a peur. On découvre quelque chose qu’on semble déjà connaître. Bref, on reste stupéfait. 

Pour éclairer cette perception de l’art, il faut peut-être écouter la fin de l’histoire. Si l’ange confisque le secret de la vie au nouveau-né, il lui donne en échange, l’opportunité de le redécouvrir : apprendre deux fois, c’est apprendre mieux. Boltanski, adepte à part entière de cette lourde tâche, prouve, sans nul doute, qu’il n’a pas encore fait son temps.

Perla Msika

La Perle

 Christian Boltanski : Faire son temps
du 13 novembre 2019 au 16 mars 2020
Centre Pompidou
Place George Pompidou, 75004 Paris 
Commissaire d’exposition : Bernard Blistène