Frankie Wallach, le sourire et la niaque

Si elle est déjà une actrice et réalisatrice alignée, elle campe, dans son dernier film, le rôle d’une assistante. Frankie Wallach est à l’affiche du Livres des Solutions, aux côtés de Pierre Niney et Blanche Gardin, en salles ce mercredi 13 septembre. Bosseuse, solaire, la jeune comédienne investit peu à peu nos petits et grands écrans, et savoure l’aventure d’un métier…qui l’emmène jusque dans les Cévennes.

Dans Le Livre des Solutions, Frankie Wallach joue Sylvia, l’assistante d’un réalisateur fou et passionné
Crédits photo : Samuel Bouazis

Romain Duris,  Kate Winslet Jim Carrey l’ont précédée. Aujourd’hui, c’est à son tour de passer devant la caméra de Michel Gondry.  Il y a deux ans, Frankie Wallach passait tout juste la porte du cinéma. Aujourd’hui, elle tient l’affiche du Livre des Solutions, le nouveau film du réalisateur aux côtés de Pierre Niney et Blanche Gardin, en salles ce mercredi 13 septembre. 

Frankie Wallach est actrice depuis son enfance, mais c’est réalisant le film Trop d’amour que le grand public la découvre sur Canal +.  Dans cette autofiction tragi-comique, elle raconte sa relation avec sa grand-mère rescapée de l’Holocauste et met en scène plusieurs membres de sa famille. Après avoir ajouté plusieurs lignes sur son CV, comme un second rôle dans le biopic de la joueuse de football Marinette, elle campe le personnage de Sylvia. Cette fidèle assistante accompagne Marc (Pierre Niney) un réalisateur aussi génial que fou, qui s’isole dans les Cévennes pour terminer une film. Le Livre des Solutions, une histoire largement tiré de la vie de Michel Gondry. 

Un sourire rayonnant, une attitude solaire, l’actrice navigue entre les projets avec légèreté et passion. Elle nous accorde un entretien dans lequel elle se livre sur cette expérience qui marque un tournant dans sa carrière. 

Comment s’est passée la rencontre avec Michel Gondry ? 

C’était en Facetime ! On est restés des heures à se parler de tout sauf du film. Il était à Los Angeles et moi, en France, en train de tourner Marinette (ndlr 2023, Virginie Verrier). Il m’avait vu dans une pub d’EDF et mon agent me dit « Michel Gondry a appelé et il veut te rencontrer pour te proposer un rôle ». J’étais vraiment surprise parce que je suis à un stade de ma carrière où on ne me propose pas encore des rôles. Je dois passer des castings.

Est-ce qu’avant de le connaitre, le travail de Michel Gondry t’était familier ?  

J’avais vu l’Écume des jours (2013) quand j’étais petite : c’est d’ailleurs le film que tournait Michel pendant la période dont il parle dans le Livre des solutions. On m’avait dit qu’il fallait absolument voir Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), un peu comme les grands classiques à connaître. Mais on me l’a tellement dit que je ne l’ai jamais vu ! J’avais aussi adoré Soyez sympa rembobinez sans savoir que c’était un film de Michel. 

Mais quand j’ai su que j’étais prise pour le film, je n’ai pas voulu regarder les autres films avant, parce que je me suis dit que ça allait trop me stresser. Je n’ai découvert Eternal Sunshine of the Spotless Mind qu’après le tournage. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et j’ai écrit un pavé à Michel en lui disant que je l’aimais. J’ai reconnu dans ce film ce que je connaissais de lui. Tout son amour, toute sa sensibilité.

Il t’offres alors le rôle de Sylvia, l’assistance de Marc (Pierre Niney) dans le film. Est-ce que tu peux nous parler d’elle ? 

Le rôle de Sylvia est particulier parce qu’il y a une grande différence entre le scénario et la fiche descriptive que Michel m’a donné d’elle. Dans le scénario elle était franchement agaçante et dans la fiche, il la décrivait comme solaire, souriante, sympathique. Je lui avais dit que je ne comprenais pas et il m’a répondu qu’on allait devoir travailler pour qu’elle ne soit pas antipathique ; parce que c’est à travers le regard des personnages qui l’entourent que le public va apprécier ou non Marc, le héros du film. « Si vous l’aimez, le public l’aimera, nous disait Michel. Si vous ne le supportez pas, on ne l’aimera pas non plus ».

Puisque ce film est autobiographique : a-t-elle vraiment existé cette Sylvia ?

Michel m’a beaucoup parlé d’une de ses anciennes assistantes dont il s’est inspiré pour le rôle. Il m’a même envoyé des photos d’elle. Il éprouvait énormément de tendresse et de reconnaissance à son égard. Je me suis aussi inspirée de Sabrina, son assistante actuelle.

Sabrina et Michel ont d’ailleurs une relation incroyable que j’observais tous les jours sur le tournage. J’avais juste à la regarder à les regarder ensemble. Ils sont en même temps meilleurs potes, père et fille, patron et assistante, c’est assez fou, et je me nourrissais beaucoup d’eux pour créer ma relation avec Marc. Michel est un génie mais sans Sabrina je ne sais pas s’il pourrait exister. Et c’est exactement pareil pour Marc et Sylvia dans le film. Leur complicité est vraiment importante. 

À quoi ressemble un tournage avec Michel Gondry ? 

C’était très familial. On avait un petit budget, une équipe à taille humaine et des gens avec qui Michel avait l’habitude de travailler. On est allés dans les Cévennes, dans la maison de la tante de Michel qui est dans une zone blanche donc…pas de réseau !

Et puis, c’était un endroit très loin de Paris, et très loin d’une gare, donc on restait sur place les week-end. On allait se baigner dans la rivière, là où Michel se baignait quand il était petit. C’était une vraie colo quoi. C’était drôle de revivre ça, ça m’a rappelée les tournages que je faisais quand j’étais enfant. Michel et Pierre m’ont dit que c’était le plus beau tournage de leur vie. (elle sourit jusqu’aux oreilles).

Et comment s’est passé ton premier jour de tournage ? 

Le premier jour, par contre, était horrible. On tournait des scènes où l’on se fait arroser et je n’avais aucune info. Michel ne pouvait même pas me regarder tellement il était stressé. On se met en place, il dit « Action ! » et là : je bug. Je ne savais plus quoi faire, quoi dire…Perte de moyens totale ! C’est Pierre qui, assez vite, est parvenu à me détendre et à me faire marrer. 

Quand je suis rentrée à l’hôtel, j’ai commencé à écrire des notes de travail, j’ai cherché ma méthode à moi. Tout s’est détendu après le premier week-end, on est allés se baigner dans la rivière. Petit à petit, Blanche, Pierre, Mourad (Boudaoud, qui joue Carlos) sont devenus plus que des partenaires de travail. 

Dans Trop d’Amour, Frankie Wallach réalise une auto-fiction sur son histoire familiale, marquée par l’Holocauste.

Tu as déjà réalisé un film : Trop d’amour (2021). Est-ce qu’en tant que réalisatrice, tu te reconnais dans le personnage de Marc ? 

Pas du tout ! Mais alors, vraiment pas du tout. Je n’ai pas toutes ces névroses, et je pense même que Michel aujourd’hui, ne se reconnait plus dedans non plus. Il raconte un épisode, au pire moment de sa vie, où il essaye d’arrêter les médicaments alors qu’il est maniaco-dépressif. 

En revanche, c’était extrêmement intéressant de voir Michel travailler et cela m’a énormément rassurée et inspirée. Il est connu dans le monde entier, reçoit beaucoup de prix et a même  tourné avec de grands acteurs américains. Pourtant, le premier jour du tournage, il était quand même mort de trouille. Il doute beaucoup, il se pose des questions, il échange avec son équipe…La scène du chef d’orchestre par exemple…(ndlr, Marc tente d’y composer lui-même la musique de son film en conduisant un orchestre symphonique alors qu’il n’a jamais fait ça de sa vie)

Quelle scène ! 

Elle est incroyable ! Quand j’étais sur le tournage je me disais « Je crois que je suis en train d’assister à un grand moment de cinéma ». On sent que Michel s’est vraiment pris la tête sur cette scène, que c’était difficile pour lui. Le voir douter encore m’a beaucoup inspirée. C’est simple : quand j’ai fini le tournage j’ai recommencé à écrire, alors que j’avais pas écrit depuis un an ! 

Est-ce qu’il y avait une place pour l’improvisation ou la réécriture sur le tournage ? 

Disons qu’on l’a tenté mais il n’y avait pas tellement la place (elle rit). La scène de la dispute entre nous deux à la fin du film, nous la trouvions difficile. Avec Pierre, on a donc réécrit toute la scène avec nos mots et quand on l’a présentée à Michel, il nous a dit « Mais c’est pas le texte ça les gars ! » (elle rit encore). Lui voulait qu’on colle au texte. On tentait des trucs, il nous laissait faire des prises plus libres à contre cœur mais il nous a avoué qu’au montage, une fois sur deux, il prenait notre prise. 

Quand on regarde le film on se demande si le personnage de Marc est complètement fou, ou si c’est un génie. Est-ce que tu penses qu’il faut une part de folie pour réussir dans ce milieu ? 

Non je ne pense pas, et d’ailleurs c’est un danger de se conforter dans ça. C’est aussi ce que raconte le film. Le film est un épisode de la vie de Michel mais ce n’est pas Michel Gondry. Son génie ne vient pas du fait qu’il soit maniaco-dépressif et qu’il arrête ses cachets. Je pense qu’il est mille fois mieux quand il sait où il va. Marc souffre dans le film, même si le film est drôle.

Tu as travaillé aux côtés de Pierre Niney. Comment s’est passé cette collaboration ? 

Géniale ! J’ai retrouvé avec Pierre quelque chose que j’avais pas vu depuis l’école de théâtre :  le de s’amuser ! On peut travailler, se planter, éclater de rire…Il a cette naïveté du jeu, un peu comme les enfants. Le premier jour, il m’a dit « Tu te rends compte qu’on est sur un tournage de Michel Gondry ! ». Même avec sa carrière, j’ai vu que, pour lui aussi, c’était un étape incroyable. Il était aussi impressionné et excité que moi. 

Dans le film, on perçoit aussi la métaphore du créateur qui fuit en permanence son œuvre et qui refuse de l’affronter. Est-ce que Gondry vous l’a présentée comme ça ? 

Non, il a simplement envoyé le scénario sans me présenter grand-chose. Il ne nous a pas non plus fait lire de note d’intention. Il nous nourrissait surtout de ses souvenirs concrets. En revanche moi, je l’interprète comme ça. Quand j’écris, je peux passer un mois entier à laver ma maison, à faire des machines en prétendant que je n’ai pas le temps de travailler, tellement ça m’angoisse de me mettre devant ma feuille. 

Tu nous dit que tu recommences à écrire : quels sont tes projets futurs ? 

Je suis en écriture de deux films, un avec une co-scénariste et un que j’écris seule pour l’instant. Sinon j’ai tourné récemment avec Xavier Lacaille dans un film de Bastien Daret. En octobre-novembre, je vais tourner dans un film d’Akim Isker. L’histoire d’une jeune fille qui fait un déni de grossesse et qui se retrouve à 23 ans avec un enfant de 3 ans. Elle quitte ses études et se retrouve à la fonctionnelle, le service qui nettoie les scènes de crime, les accidents…Ce sera mon premier rôle principal. 

Notre critique

Alors qu’il subit la pression de ses producteurs pour finir son dernier long métrage, Marc part avec ses plus proches acolytes s’enfermer dans la maison de son enfance dans les Cévennes. Là-bas, entre nouveaux projets farfelus et doléances saugrenues, Marc fait tout sauf ce qu’on attend de lui.  Ce film raconte un épisode bien particulier de la vie de Michel Gondry. Une période assez sombre dont on ressort pourtant plus léger. On retient surtout les rires déclenchés par Pierre Niney qui interprète un réalisateur aussi attachant qu’insupportable, aussi fou que génial. Comme un jeune garçon réalisant son premier court métrage, Gondry revient à l’artisanat du cinéma et se livre sans tabou. Marc préfère faire tout et n’importe quoi plutôt que d’affronter sa création et incarne donc une très belle métaphore du réalisateur et de l’artiste en général. >>

Dans ce film sans artifice (à l’image de son créateur) on prend plaisir à suivre la petite troupe composée d’une monteuse (Blanche Gardin), son assistant (Mourad Boudaoud) et l’assistante du réalisateur (Frankie Wallach) qui résident tous chez la tante de ce dernier (Françoise Lebrun). La dynamique familiale d’un tournage est très justement représentée et l’authenticité des situations et des personnages est palpable. 
La mise en scène de Gondry est fidèle à ce qu’on lui connait de ses précédents films, pleine d’ingéniosité, de fantaisie et de justesse. Bien qu’il ait laissé la grosse machine Hollywoodienne derrière lui,  il est agréable de retrouver le réalisateur d’Eternal sunshine of the Spotless Mind à son plus haut niveau. S.B

La Perle

 “Le Livre des solutions”
Un film de Michel Gondry

Date de sortie : 13 septembre 2023
Durée : 1 heure et 42 minutes
Avec : Pierre Niney, Blanche Gardin, Frankie Wallach

Pour la quatrième année consécutive, la Machine de Turing revient sur la scène parisienne dans le nouvel écrin du Théâtre du Palais-Royal. À cette occasion, Benoit Solès, auteur et comédien de la pièce, nous a ouvert les portes de
sa loge avant de prêter sa peau à Alan Turing, un personnage dont la vie fait écho à tant de considérations actuelles
En partenariat avec le Théâtre du Palais-Royal.

L’histoire d’Alan Turing est d’une modernité saisissante. Benoit Solès l'incarne sur la scène du Théâtre du Palais-Royal. Crédits photos : Fabienne Rappeneau

Un air brûlant flotte dans les jardins du Palais-Royal. L’été s’éternise et pourtant la rentrée sannonce, conformément à une mécanique bien huilée. Des rentrées sur les planches, Benoît Solès en a vécu plus d’une, toujours aussi enivrantes.

Celle-ci a toutefois une saveur particulière. Dans le théâtre emblématique du Palais Royal, le comédien sapprête à retrouver le personnage dAlan Turing pour la 800ème représentation de La Machine de Turing dont il signe également l’écriture. Un record pour une pièce moliérisée à quatre reprises et dont le succès, depuis son lancement au festival d’Avignon en 2018, ne faiblit pas.

Il faut dire que la vie du britannique Alan Turing se prête à un récit théâtral denvergure. Renommé pour avoir décrypté le système de codage de la machine allemande Enigma durant la Seconde Guerre mondiale, Alan Turing était avant tout un mathématicien de génie, fasciné par les sciences auxquelles il a dédié sa vie. Persécuté du fait de son homosexualité, celui qui fut lun des pionniers de linformatique et de lintelligence artificielle (IA), connait un destin funeste avant de tomber dans loubli, jusqu’à sa réhabilitation en 2013 par la reine Elisabeth II.

Et pourtant, lhistoire dAlan Turing apparait plus que jamais dune modernité saisissante. Quête identitaire, acceptation de la différence, nouvelles intelligences artificielles … Autant de thématiques qui trouvent, de nos jours, une résonance vibrante.

En réponse à cet écho, Benoit Solès fait refleurir sa parole, comme un hommage offert au plus grand monde. À une heure de son entrée en scène, celui-ci revient sur les traces de cette rencontre inédite avec son personnage et se dévoile à la lueur de sa double casquette dacteur-auteur.

Le 28 septembre, vous jouerez la 800ème du spectacle. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Jouer une pièce 800 fois, c’est un peu vertigineux, mais c’est avant tout un bonheur. Je dirais presque un honneur, parce que ça veut dire que le public vous a fait confiance, que l’aventure continue. C’est un challenge pour les comédiens de se réinventer tous les soirs et de se présenter avec la même intensité, la même émotion. Mais je ne men lasse pas car la chimie qui se crée entre le public, les comédiens et l’histoire est sans cesse différente. Et particulièrement avec Alan Turing où les gens peuvent être un soir très sensibles à sa fantaisie, et un autre soir ressentir l’inéluctable tragédie qui est en train de se préparer. Du festival OFF dAvignon, au théâtre Michel en passant par tous les lieux où nous avons été accueillis en tournée, il y a toujours des surprises, des challenges, un bonheur renouvelé.

Vous dites avoir fait la rencontre du personnage d’Alan Turing grâce à…une pomme !

Ça remonte à 2008-2009. Je travaillais sur une autre pièce où il y avait une histoire de pomme. Jai cherché la symbolique sur Internet et au-delà des références quon lui connait (Blanche Neige, Adam et Eve…), lune dentre elles renvoyait vers un certain Alan Turing. En 2009, il n’y a pas eu Imitation Game (ndlr, le film  biopic américain de Morten Tyldum, sorti en 2014) et personne, à part des scientifiques, des historiens ou un peu dans le milieu gay, ne connaissait Alan Turing.

Je lis : « mathématicien anglais, craque le code secret des nazis, invente l’informatique, se suicide après une condamnation pour homosexualité en croquant une pomme trempée dans du cyanure » et instantanément, j’ai un instinct. D’une part, quil faut contribuer à la réhabilitation de cet homme – et le théâtre possède la liberté de ton pour le faire – ; dautre part que c’est un rôle que je veux jouer, un personnage que je veux défendre. Voilà comment ça a démarré et ça nous a emmenés très loin.

Pour préparer cette interview, notre rédaction sest plongée dans un essai intitulée « La Formation de lActeur ». Lauteur, Constantin Stanislavski, dit que « Dès lors que vous aurez établi le contact entre votre vie et votre rôle, vous éprouverez une impulsion intérieure, un choc immense ». Quest-ce qua suscité cette rencontre avec Alan Turing ?

L’admiration que j’avais pour son œuvre et le sentiment de révolte et d’injustice que je ressentais pour ce qu’on lui a fait, ont été des moteurs décisionnels dans ma démarche. C’est vraiment par l’entrée humaine, affective que j’ai essayé de m’approcher de lui, le montrer tel quil était afin que le public découvre ce personnage extraordinaire.

Crédits photo : Fabienne Rappeneau

« JE VOULAIS DÉFENDRE LE PERSONNAGE D’ALAN TURING. »

À travers vous, celui-ci apparait justement comme un homme très attachant, en témoigne l’émotion réelle qui transite chaque soir entre vous et le public. Comment expliquer un tel écho chez les spectateurs ? 

Au-delà de Turing, bien qu’il soit passionnant, il y a dans la pièce une ode à la différence sous toutes ses formes, qu’elle soit sexuelle, de pensée, religieuse, politique, métaphysique, et qui touche beaucoup les gens. La puissance de son destin frappe les consciences. Certains parents d’enfants homosexuels qui les avaient congédiés, ont été tellement frappés par la pièce quils ont pris la décision de les rappeler par la suite. J’ai vu des ados venir avec leurs parents, me prendre par la main à la fin du spectacle et oser leur dire : « Voilà, Alan et Benoît me donnent la force de vous dire qui je suis. Je porte une différence ».

Et ça ne vaut pas que pour l’homosexualité. Par exemple, je joue Turing avec une forme d’autisme qui confine à lAsperger bien qu’à l’époque, ce mot nexistait pas. Je vois avec autant d’émotion des parents d’autistes ou des jeunes autistes me dire « Merci de montrer qu’un homme autiste a pu changer le monde, délivrer un message positif, être attachant et non repoussant ». C’est génial.

Dans la pièce, vous installez un découplage entre le Alan Turing narrateur et acteur. Quelle était votre idée ?

Alors que javais abouti à une version un peu finale de la pièce, je trouvais quil manquait quelque chose. Puis, j’ai vu un film dans lequel un narrateur sexprimait ainsi et je me suis dit « Mais au fond, pourquoi ne nous parlerait-il pas ? ». Et c’est ainsi que j’ai écrit le prologue, l’épilogue et toutes ces interventions qui m’ont dailleurs réglé beaucoup de problèmes dramaturgiques.

Avec Tristan Petitgirard, le metteur en scène, on a tout de suite décidé que, dans les scènes de sa vie, et notamment des scènes conflictuelles ou émotionnellement fortes, il aurait ce bégaiement, historique, mais que face au public, il serait dans une forme de pleine conscience, suivant sa pensée, très fluide. Il y a ainsi une dichotomie entre le Turing entravé et le Turing libéré.

Vous jouez maintenant depuis quatre ans.  Comment avez-vous fait évoluer ce rôle ?

Il y a eu des étapes : la peur au début de ne pas être à la hauteur, puis après une forme de confiance en voyant la réaction très positive des gens. L’aspect autistique s’est renforcé. Des éléments liés à la comédie, à sa drôlerie potentielle sont arrivés aussi par ma détente Rien n’est écrit. Je ne joue pas pareil tous les soirs, ne serait-ce que vis-à-vis de mes partenaires qui ont tous une énergie différente. Il y a beaucoup de fraîcheur, de nouveautés et même, d’inattendu. Dailleurs, plusieurs spectateurs reviennent voir le spectacle dans différents lieux, avec différentes distributions

 « Je joue Alan Turing avec une forme d’autisme qui confine à l’Asperger » confie Benoit Solès. 

Crédits photos : Fabienne Rappeneau

Dans toute la pièce transparait la fascination dAlan Turing pour les machines et lintelligence artificielle. 70 ans plus tard, comment est-ce que vous abordez leur participation grandissante à notre société ?

Je regarde l’intelligence artificielle avec beaucoup de curiosité et une certaine forme de confiance. Je pense qu’elle ne tuera jamais le théâtre et que tous les progrès liés à la technologie ne nous feront jamais perdre l’envie, je l’espère, de nous réunir ensemble dans un lieu confortable pour écouter le récit d’une histoire sans une foultitude d’artifices technologiques. Mais le sujet est passionnant.

D’ailleurs, je vous annonce que je vais sortir un livre d’entretien qui s’appelle « Lexpert et lartiste au cœur de la machine » avec Badr Boussabat, spécialiste de l’intelligence artificielle. Le livre prend la forme d’un dialogue entre un expert et un artiste qui se prête au rôle de Turing et aborde toutes les questions que l’on peut se poser sur le sujet.


Et Alan Turing, qu
en aurait-il pensé, à votre avis ?

Je pense qu’il serait, comme il était de son vivant, curieux, soulevant un nombre infini de questions, toujours avec un coup d’avance.

Pour finir et pour nos lecteurs de la Perle, auriez-vous une petite perle, une anecdote à nous partager ?

La nouvelle pièce que j’ai écrite, La maison du Loup, qui se joue dès le 14 septembre au Théâtre Rive Gauche, est baignée d’une musique magnifique de Georges Bizet qui s’appelle Les pêcheurs de perles. J’espère que vos lecteurs et les spectateurs viendront découvrir avec enthousiasme cette nouvelle création, comme un lien, de « perle à perle ». 

Amandine Violé

La Perle

« La Machine de Turing »
Du au 23 décembre 2023

Théâtre du Palais-Royal
38 Rue de Montpensier, 75001 Paris

Auteur : Benoit Solès 
Metteur en scène : Tristan Petitgirard

Reservez vos places sur www.theatrepalaisroyal.com 

Instagram : @thpalaisroyal