Tout le monde aime Jeanne : l’antidépresseur du cœur

“Tout le monde aime Jeanne.” C’est ce que Laurent Lafitte ( Jean ) assure à Blanche Gardin ( Jeanne ) en ouverture du premier long-métrage de Céline Deveaux. Présentée à Cannes lors de la semaine de la critique, cette comédie romantique évoque avec justesse la dépression de son héroïne, alternant prises de vue réelles et séquences d’animation.

Illustration : Céline Deveaux signe un film touchant, où l’humour abrupt de Blanche Gardin (Jeanne) fait écho à l’interprétation de Laurent Lafitte qui incarne Jean, ancien camarade de lycée à la franchise déconcertante.

Jeanne est une chercheuse brillante au travail prometteur. Sa dernière invention doit permettre de purger les océans du plastique qui les pollue. Oui mais voilà : rien ne se passe comme prévu lors du lancement, et le projet tombe (littéralement) à l’eau. Ruinée, Jeanne se rend à Lisbonne où elle espère vendre l’appartement de sa mère décédée un an auparavant. Sur place, sa vie prend une tournure inattendue.

Projeté le 8 juin dernier, lors d’une avant-première à la Cinémathèque, Tout le monde aime Jeanne a d’abord été présenté au Festival de Cannes, lors de la semaine de la critique. Céline Deveaux signe un film touchant, où l’humour abrupt de Blanche Gardin, dans le rôle de Jeanne fait écho à l’interprétation de Laurent Lafitte qui incarne Jean, ancien camarade de lycée à la franchise déconcertante. Les deux personnages se rencontrent par hasard à l’aéroport. Cataloguée comme une comédie romantique, Tout le monde aime Jeanne n’hésite pas, néanmoins, à traiter de sujets graves : la dépression, la mort, le suicide, la folie. Que les spectateurs se rassurent : l’humour et l’amour seront bien au rendez-vous lors de sa sortie en salles, le 7 septembre prochain.

LA PETITE VOIX DANS LA TÊTE

Spécialiste de l’animation et du court-métrage, genres pour lesquels elle a déjà été primée aux César et à la Mostra de Venise, Céline Deveaux joue de ses atouts pour rendre son premier long-métrage innovant. En proie à ses tourments, Jeanne est confrontée à des dilemmes, des situations où son attitude corporelle et verbale va à l’encontre de ce qu’elle pense véritablement. Incapable de s’exprimer sans filtre pour ne pas heurter ses interlocuteurs, sa voix intérieure fait alors office de défouloir. Ce sont ces séquences que la réalisatrice choisit d’illustrer par l’animation. Céline Deveaux prête ainsi sa voix à un alter-ego décomplexé de l’héroïne, frêle silhouette au corps recouvert par de longs cheveux noirs qui l’enveloppent et la protège du monde extérieur. Se jeter sous un bus, espérer que son partenaire respecte les règles élémentaires d’hygiène avant de fouiller son intimité, avouer sa crainte de basculer dans la folie… La voix intérieure dit tout haut ce que Jeanne n’ose murmurer tout bas. Et en musique s’il vous plaît ! Les notes flottantes et électroniques de Flavien Berger contribuent à installer une atmosphère feutrée.

La majorité de l’intrigue se déroulant à Lisbonne, la capitale portugaise se révèle sous la caméra de Céline Deveaux. On prend plaisir à déambuler dans les rues du centre-ville, à admirer la mer depuis la terrasse de l’appartement de la mère, à se perdre sur le port… Quelques rares scènes d’extérieur qui permettent au spectateur de souffler : l’essentiel de l’intrigue se tient toutefois en intérieur, comme un rappel l’enfermement de Jeanne qui tente de s’ouvrir aux autres, en dépit de ses vieux démons.

“ÉTONNANTE ASSOCIATION QUE CETTE CHERCHEUSE DÉPRESSIVE ET CE KLEPTOMANE MYSTÉRIEUX DONT ON NE SAIT RIEN SI CE N’EST LA FOLIE PASSÉE.”

DEUX PERSONNAGES QUE TOUT OPPOSE

Mais ce qui fait le sel du film, c’est surtout le tandem Blanche Gardin – Laurent Lafitte. Étonnante association que cette jeune chercheuse dépressive et ce kleptomane mystérieux dont on ne sait rien si ce n’est la folie passée. Blanche Gardin s’éloigne de l’humour corrosif qu’on lui connaît habituellement sur scène. Puisqu’il incombe à la voix intérieure de faire rire, l’actrice peut se concentrer pleinement sur son rôle de jeune célibataire accablée par le deuil et le doute. Laurent Lafitte, lui, interprète à merveille le pragmatisme d’un personnage, sans morale apparente, qui n’hésite pas à apprendre à sa nièce à voler dans les supermarchés ou à inventer un handicap factice pour doubler une file d’attente. 

En dépit des thèmes sombres qui tissent la toile de fond de l’œuvre, Tout le monde aime Jeanne est un film résolument optimiste. Un film résolument féministe, où l’héroïne demeure maître de ses choix et de sa destinée, et que ses relations sentimentales ne définissent pas. C’est que Jean n’est pas le seul à s’amouracher de l’héroïne. Il y a aussi Vitor, un ancien amant campé par Nuno Lopes – et rival désigné de Jean. Entourée d’hommes, Blanche Gardin donne aussi la réplique à Maxence Tual, qui incarne son frère Simon, et par la même, l’espoir sans faille de lendemains meilleurs.

« C’est mon premier film, et du coup c’est la première et dernière fois que j’aurai cette émotion-là. » a confié Céline Deveaux lors de l’avant-première à la Cinémathèque. Un propos qui colle peut-être à l’identité du film : une anti-héroïne à fleur de peau qui, apprivoisant, non sans humour, des émotions nouvelles.

La Perle

Tout le monde déteste Jeanne
Réalisateur : Céline Deveaux

Date de sortie : 7 septembre 2022
Durée :
1 heure et 35 minutes
Avec : Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual