Récit d’une enfance exilée au théâtre de la Colline

"Mère" est une pièce créée par Wajdi Mouawad et jouée au théâtre de la Colline jusqu’au 4 juin 2023. Autobiographique, elle met en scène une mère, celle du metteur en scène, qui s’est exilée avec sa fille et ses deux fils à Paris pour fuir la guerre civile libanaise à la fin des années 1970.

Hommage à ses origines, le metteur en scène nous fait
part des doutes, de la souffrance et des souvenirs.   Crédits photo : Tuong-Vi Nguyen

Wajdi Mouawad n’a pas pleuré depuis la mort de sa mère. C’est peut-être de là que vient le besoin de faire d’elle le personnage principal de sa pièce Mère au théâtre de la Colline jusqu’au 4 juin. Une œuvre qui les fait communiquer tous les deux, lui et sa mère, dans la langue maternelle. Une communication complexe, souvent violente, parfois rompue, où l’affection et l’amour maternel ne trouvent pas toujours leur place. 

Mère est la troisième œuvre du cycle « Domestique », elle vient après les solos Seuls et Sœurs et avant Père et Frères. La pièce signe ce que Wajdi Mouawad qualifie lui-même « d’hyper-autobiographie ». 

UNE « HYPER-AUTOBIOGRAPHIE »

Presque psychanalytique, cette pièce est avant tout une mise en scène de la mémoire. Une mémoire autobiographique, qui se veut vraie sans jamais pouvoir l’être parce que biaisée par le temps et les émotions. 

Cette mémoire est celle du metteur en scène. Wajdi Mouawad assume le retour à ses origines et fait surgir sur scène la relation compliquée qu’il entretenait avec sa mère. En devenant personnage de sa propre pièce, il fait (re)vivre ses souvenirs, observe sa famille et se regarde enfant. En réalité, c’est ce qu’il a retenu de ces cinq années d’exil qu’il montre au spectateur. 

L’odeur de la cannelle, les plats trop copieux, les tics de langages, l’aspirateur passé sans cesse, le ménage fait de manière viscérale, l’attente, la peur, la toile de Cézanne dans le salon, tant de détails qui forment le cadre d’une cacophonie quotidienne. 

Crédits photo : Tuong-Vi Nguyen
« DES SOUVENIRS QUI FORMENT LE CADRE D’UNE CACOPHONIE QUOTIDIENNE. »

C’est à partir d’éléments tirés de sa propre vie que le metteur en scène fait pencher la pièce du côté de la fiction. Né au Liban en 1968, Wajdi Mouawad fuit la guerre et s’exile en France de ses 10 à ses 15 ans avant de partir pour le Canada et de vivre au Québec jusque dans les années 2000. 

À travers son regard d’enfant, on voit évoluer sa mère, forte, directe, seule, dure et exilée avec ses enfants dans un appartement du XVème arrondissement parisien. C’est avec émotion que l’on suit le quotidien de cette famille qui lutte comme elle peut contre l’attente, l’instabilité, l’impuissance, sans réussir à trouver la sérénité. 

C’est alors que la télévision joue un rôle central. Point de rassemblement et porteur de nouvelles, le Journal de 20 heures est le seul lien avec le pays d’origine de la famille. Dans la mise en scène de cette « hyper-autobiographie », Wajdi Mouawad a choisi de faire jouer Christine Ockrent dans son propre rôle.

Animatrice du journal d’Antenne 2 à l’époque, elle était la femme qui délivrait quotidiennement les nouvelles de la guerre et le seul point d’accroche avec le père du metteur en scène, resté au Liban. 

Autre point accentuant l’immersion au sein de cette famille, la langue d’origine conservée. Les acteurs parlent le libanais, un arabe particulier, tout au long de la pièce. Il s’agit du premier spectacle de Wajdi Mouawad mis en scène en libanais. 

Ce travail de traduction a été rendu possible grâce à l’implication des comédiennes Odette Makhlouf et Aïda Sabra, jouant respectivement la sœur et la mère de Wajdi Mouawad dans la pièce. 

De ce parler franc et rugueux sort une poésie crue, située à la frontière entre la langue française et la langue libanaise.
Crédits photos : Tuong-Vi Nguyen

« LA LANGUE DE L’EXIL »

Les mots, la langue, ce qui est dit, ce qui est entendu, ce qui est tu, ont une place prédominante dans la pièce. Mère est une pièce jouée en libanais avec un surtitrage français. La traduction en français est littérale afin de laisser entendre toute la densité poétique et les images créées par la langue libanaise.  

« Dans Mère, et c’est tant mieux, il n’y a pas la place pour que l’écriture verse dans la poésie, tout simplement parce que ma mère était une femme très concrète. L’écriture est, en conséquence, très rapeuse, âpre, rêche, à l’image de la situation et l’état dans lesquels était ma mère lorsque nous vivions à paris. » explique Wajdi Mouawad.

De ce parler franc et rugueux sort une poésie crue, située à la frontière entre la langue française et la langue libanaise, dans les différences et aspérités qu’il peut y avoir entre la langue parlée imagée et sa traduction française littérale. 

La présence double de la langue est un élément clé de la mise en scène, elle est d’emblée énoncée dans l’introduction faite par le metteur en scène qui vient expliquer que la famille parlera « la langue de l’exil », une langue qui mélange les idiomes et qui les fait se répondre sur scène grâce au surtitrage.

Mère signe un retour en enfance et une ouverture sur l’intimité de Wajdi Mouawad. Une enfance marquée par un manque, celui de l’amour et de l’affection maternelle. En faisant revivre le fantôme de sa mère sur scène, l’auteur tente de renouer avec elle , et d’exposer la raison pour laquelle Mère est née. Sur scène cette fois-ci.  

La Perle

« Mère »
Du 10 mai au 04 juin 2023

Théâtre de la Colline
15 Rue Malte-Brun 75020 Paris

www.colline.fr
Instagram : @lacollinetheatrenational