Les artistes exposés nous questionnent sur les boulever-
sements de notre époque, à travers des récits pluriels.
Crédits photo : Lucie Vial-Blondeau
Les histoires ne sont pas réservées aux enfants. Elles demeurent omniprésentes tout au long de notre vie. Il y a les histoires que l’on aime écouter, regarder, qui ont cette faculté claire de nous transporter dans un autre monde, celui de la fiction, de l’imaginaire. Et il y a celles, plus complexes, qui brouillent la frontière avec le réel. Qui nous positionnent dans une entre-deux inconfortable, qui nous font douter des autres et du monde qui nous entoure. Elles embrassent nos angoisses, peuplent nos rêves et transforment nos interactions.
Dans une atmosphère haute en couleurs, peuplée de personnages déguisés et d’installations fantasques, les artistes exposées au sein de l’exposition « Histoires vraies » du musée d’art contemporain du Val-de-Marne (Mac Val) nous questionnent sur les bouleversements de notre époque, à travers des récits pluriels, propres à chacun. Jusqu’au 17 septembre, elle propose un parcours immersif où les pratiques sont multiples et les œuvres, étonnantes. On se laisse volontiers porter par ce jeu de découvertes amusantes, cauchemardesques et dystopiques.
« CET ÉDIFICE, À PREMIÈRE VUE FÉÉRIQUE, EST EN RÉALITÉ EN FLAMMES. »
Burn Them All, Jordan Roger, 2022.
DES CONTES INSPIRÉS DE LA RÉALITÉ
Parfois, l’esprit du conte n’est jamais bien loin, comme avec l’œuvre de Jordan Roger. Un immense château rose et bleu se dresse devant nous, et rappelle instantanément l’univers édulcoré de Walt Disney. Mais cet édifice, à première vue féérique, est en réalité en flammes et en ruines, et porte l’insigne au message incisif : « Burn them all » ( en français « Brûlez-les tous »).
L’artiste signe ici une bataille contre les stéréotypes et les clichés sexuels et identitaires qu’il perçoit dans le monde, à l’image de son propre nom de famille qui apparaît barré. Une sorte de retour à l’envoyeur sournois et bien pensé.
L’univers d’Anne Brégeaut nous transpose lui aussi, à première vue, dans un conte pour enfants. L’artiste présente une série de petits tableaux peuplés de visions fantastiques et oniriques.
Derrière ces paysages colorés, une atmosphère mystérieuse se dégage de chacune des toiles, laissant planer un sentiment d’angoisse et de solitude. Intitulée « Mes insomnies », cette série apparait comme un clin d’œil à nos cauchemars d’adultes, empreints de vulnérabilité et de questionnements au monde qui nous entoure.
LA DYSTOPIE : TON PIRE CAUCHEMAR
Qui dit récit à l’ère de nos sociétés hypermodernes dit également dystopie. Comment ne pas penser alors à la célèbre série Black Mirror, sortie en 2011, pour illustrer ce terme ? Une série très déroutante car criante de vérité et pleine de réalisme quant aux possibles menaces de l’avenir. Depuis sa diffusion, certaines « prophéties » fictionnelles se sont même réalisées. C’est notamment le cas pour l’épisode « Nosedive », où les personnages sont tributaires d’une note sociale ; une situation qui fait directement écho au contrat social établi en Chine et aux différents systèmes de notation ouverts à tous qui régissent désormais un grand nombre de prestations. L’exposition s’ouvre d’ailleurs dans cette lignée.
Les graphistes Hugo Dumont et Anthony Vernerey ont créé de toute pièce Aletheia, une société imaginaire démontrant l’hégémonie des Gafam (Google, Facebook, Amazon, Microsoft) sur nos quotidiens. Derrière des affiches et spots publicitaires à l’esthétique attrayante, la ville d’Aletheia nous vend une vie lissée, où la promesse de bonheur se fait sous le joug d’une surveillance généralisée.
Une ville pleine de faux semblants en somme, à l’image de l’instantanéité, de la viralité et la mise en scène qui alimentent sans fin nos heures d’écran.
Hugo Dumont et Anthony Vernerey ont créé de toute pièce Aletheia, une société imaginaire démontrant l’hégémonie des Gafam (Google, Facebook, Amazon, Microsoft) sur nos quotidiens. Crédits photo : Lucie Vial-Blondeau
Comme les deux faces d’une même pièce, l’exposition « Histoires vraies » présente également des récits à construire, sous un aspect plus utopique. Alors que notre biodiversité s’étiole, emportant avec elle des espèces animales et végétales, l’artiste Alexis Foiny s’est lancé un défi, celui de redonner corps à l’Astiria Rosea, fleur disparue de l’île Maurice en 1860. À travers la reproduction physique et olfactive de cette plante (impression 3D et parfum de synthèse), Alexis Foiny sensibilise à la fragilité de nos écosystèmes et propose ce qui pourrait être un scénario de réparation.
L’exposition « Histoires vraies » puise dans les légendes que l’on nous contait avant d’aller dormir tout en proposant de nouveaux modes de narration, plus actuels et contemporains. En ressort une sorte de récit tragi-comique, qui résonne en nous comme un conte à la portée universelle.