Le Firmament, drame juridique à huis clos

Au XVIIIème siècle, douze femmes sont convoquées devant un tribunal anglais pour délibérer du sort d’une accusée qui se dit enceinte. Seul moyen pour elle d’échapper à la peine de mort. Dans cette mise en scène adaptée du texte de l’autrice britannique Lucy Kirkwood, c’est la tension entre le corps de la femme et la possibilité d’en disposer librement qui est en jeu. Une question de vie ou de mort, prochainement au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.

Nous sommes en Angleterre en 1759. Douze femmes issues de différents horizons sont convoquées afin de livrer une décision au juge : la femme condamnée à mort pour meurtre est-elle enceinte ? Crédit photo : Victor Tonelli.

Quand on parle du huis clos, il y a comme un double sens. Sur le plan de la justice, on parle d’un procès qui se déroule en l’absence du public. Au théâtre, le terme définit une pièce de théâtre dont l’action se déroule dans un lieu unique, sans que les personnages n’en sortent. Quoi qu’il en soit.  Le huis clos, est connu pour posséder une convention scénique propice au drame et aux coups de théâtre. Une tension dont se joue la pièce « Le Firmament. » Après avoir investi la scène du Centquatre Paris, celle-ci se joue  au théâtre Gérard Philippe, en Seine-Saint-Denis (93) du 9 au 19 novembre 2022. Riche en allusions, la pièce donne lieu à des confrontations brutales entre les personnages et reprend des questions qui traversent les époques : celle de la justice, du patriarcat, des rapports de classe et celle de la souveraineté de la femme sur son corps. 

Nous sommes en Angleterre en 1759. Douze femmes issues de différents horizons sont convoquées afin de livrer une décision au juge : la femme condamnée à mort pour meurtre est-elle enceinte ? À cette époque, l’information n’est pas négligeable : elle est le seul moyen d’échapper à la peine capitale Cette information Signée par Chloé Dabert, la mise en scène du  « Firmament » pensée par l’autrice britannique Lucy Kirkwood, grince à sa manière de présenter des problématiques dont chaque solution est une question de vie ou de mort.

JUSTICE D’ANTAN FACE AU PUBLIC D’AUJOURD’HUI 

À une époque où la médecine est encore peu développée, la seule façon d’établir le début de grossesse est simple : faire appel à celles qui s’aperçoivent des signes en premier, c’est-à-dire les femmes. Le statut des femmes dans ce contexte historique est bien connu : elles n’ont pas droit de délibération pas plus que de jugement. Mais entorse au règlement pour ce tribunal imaginaire : l’instance décide qu’elles sont, ici, assez compétentes en matière d’ « affaires de femmes »

C’est une justice qui grince pour un public moderne : la vie d’une femme mérite-t-elle d’être sauvée pour l’enfant qu’elle porte ? Aujourd’hui, la réponse est certainement claire, mais transposée dans un autre contexte, nous pouvons imaginer d’autres considérations : l’éthique de la peine de mort, par exemple. Plus prononcée encore, la pièce semble annoncer, sans la citer directement, l’arrivée du débat sur l’avortement dans la sphère publique. Le contexte historique de la pièce fait référence alors à la suite de la lutte en faveur des droits des femmes.

“IL NOUS EST PRESQUE IMPOSSIBLE DE PRENDRE LA BONNE DÉCISION. MAIS N’ALLONS-NOUS PAS ESSAYER ?”

Lucy Kirkwood, auteure du Firmament. Crédit photo : Victor Tonelli.

QUI PEUT CONNAÎTRE LE CORPS DE L’AUTRE ? 

Même si la tâche confiée aux femmes dans la pièce, il est toujours question de connaissance ou de reconnaissance. Ainsi, plusieurs personnages souhaitent avoir l’avis d’un médecin et ne font pas confiance à la sage-femme présente dans l’enclos. Son expérience anecdotique et son manque d’éducation sont remis en cause. Un rapport de force s’installe entre les femmes dans leur manière de favoriser un homme instruit et leur comportement l’une envers l’autre selon leur appartenance de classe.Le destin d’une personne repose sur son statut et la capacité de maintenir ce statut ou de s’élever. Il n’est pas seulement question de formation médicale, mais d’enjeux socio-économiques pour les femmes qui se retrouvent enceintes suite à des aventures amoureuses ou bien lorsqu’elles subissent un viol. Un conflit intérieur qui n’est pas sans rappeler le propos de la philosophe française Élisabeth Badinter : « Les femmes, plus que les hommes, sont traversées par des divisions irréductibles. » 

Le texte, les répliques interrogent les tenants et aboutissants de la domination patriarcale. Tout repose sur sa définition : ce qui est légal ne correspond pas toujours à un jugement moral personnel. En réponse, Kirkwood traite dans son écriture le mépris et les préjugés de chacun avec une grande ironie. Heureusement ! C’est l’élément clé qui équilibre le ton dramatique, voire mélodramatique de la pièce. L’écriture de Kirkwood est limpide et rythmée ; la mise en scène tente d’ancrer ce texte dans le corps de chacun des interprètes. Alors, cette pièce peut-elle résonner chez le spectateur ? Comme son nom l’indique,  « Le Firmament »est une strate qui divise terre et ciel. 

Riche en allusions, la pièce donne lieu à des confrontations brutales entre les personnages et reprend des questions qui traversent les époques : celle de la justice, du patriarcat, des rapports de classe et celle de la souveraineté de la femme sur son corps. Crédit photo : Victor Tonelli.

La Perle

“Le Firmament”
Du 9 au 19 novembre 2022
Théâtre Gérard Philippe
59, boulevard Jules-Guesde 93 207 Saint-Denis
Metteure en scène : Chloé Dabert
Auteure : Lucy Kirkwood
Avec : Elsa Agnès, Sélène Assaf, Coline Barthélémy