Street art : une histoire des droits humains avec Ernest Pignon-Ernest

Dans le Finistère, le Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc (FHEL) présente une rétrospective du travail du pionnier de l’art de rue, Ernest Pignon-Ernest. Cette exposition qui rassemble plus de 300 travaux de l’artiste effectue un voyage au cœur de “la comédie humaine” et de ses combats pour l’égalité et la liberté.

Liberté, égalité, dignité, l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest fait résonner les 50 dernières années de combats pour les droits humains à travers le monde. Crédit photo : landerneau.bzh.

 L’ancien couvent des Capucins de Landerneau (Finistère) accueille depuis 2012, le Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc (FHEL). Ce fonds donne lieu à des expositions mais aussi à de nombreuses rétrospectives d’artistes contemporains dont, actuellement, celle d’Ernest Pignon-Ernest, pionnier du street-art aux engagements multiples. Liberté, égalité, dignité, son œuvre fait résonner les 50 dernières années de combats pour les droits humains à travers le monde.

DES MURS POUR DÉNONCER

La carrière d’Ernest Pignon-Ernest débute en 1966 à la Ruche, cité d’artistes située dans le XVème arrondissement de Paris. Dès ses premiers pas, il se différencie par une approche bien différente de ses pairs : si le mur est bien son support, à l’instar des autres street artistes, lui décide de modéliser ses messages par des choix précis de papier. Pour la fragilité, le papier journal est de mise.

Ainsi, pour sa série « Soweto » le papier journal matérialise la fragilité de la santé et de la condition des malades du sida en Afrique du Sud. En effet, à peine sortie du contexte de l’apartheid (1948-1994), régime de ségrégation entre blancs et noirs, l’Afrique du Sud est confrontée à une pandémie du sida qui pose problème encore aujourd’hui au sein du pays. Cette fragilité du papier journal, Pignon-Ernest la reprend aussi pour figurer le suicide lent du poète Arthur Rimbaud, personnalité du XIXème siècle choisie par l’artiste pour symboliser la jeunesse délaissée et protestataire de mai 1968. 

L’artiste se différencie encore par une conception in situ de l’art : toutes ses œuvres sont pensées en fonction de l’endroit où elles seront présentées au public. La série « Cabines » l’illustre bien. Les œuvres représentant des personnes dans différentes situations au sein d’une cabine téléphonique sont réalisées à échelle humaine.

Cette installation si particulière confronte, comme un miroir, le spectateur au sort de personnes plus démunies. La série « Immigrés » témoigne à nouveau de cet attrait de la mise en scène pour mieux dénoncer. L’artiste souhaitait « rendre visible, sensible en contrebas, là où on ne regarde jamais ».

“L’enjeux, montrer la souffrances des femmes qui ont recours à des avortements clandestins.”

Photo : issue de la série « Avortement », 1974, Ernest Pignon-Ernest. Crédit photo : Céline Bonnelye.

LA POÉSIE POUR COMBATTRE

Pignon-Ernest considère que « dans [sa] vie et [son] travail, [il doit] plus aux poètes qu’aux peintres ». Sa référence à Arthur Rimbaud n’est pas la seule : Mahmoud Darwich, poète palestinien, mais aussi le français Antonin Artaud ou le chilien Pablo Neruda sont repris par l’artiste pour dénoncer des conflits politiques.

Pour montrer la lutte de Pablo Neruda contre les régimes dictatoriaux, le street artiste réalise une image du poète vêtu d’un poncho, costume traditionnel de son pays. Cet habit entièrement blanc, invite les artistes chiliens à collaborer à l’œuvre en y inscrivant des poèmes ou des peintures pour montrer leur contestation de la dictature de Pinochet (1973-1990) qui sévit alors. Ils s’inscrivent ainsi dans le combat de Pablo Neruda disparu au moment du coup d’État de Pinochet.

Cette poésie ne se limite pas aux sujets abordés par l’artiste. Ses compositions l’expriment tout autant en reprenant des sujets classiques comme la descente de croix de Jésus. La figure du Christ est remplacée par celle du poète français Jean Genet, pour entrer en « résonance avec le message du poète [qui] mêle tensions entre profane et sacré, agressions et désir, rixe et crucifixion […] »

Cette tension poétique est présente dans la série « Avortement » (1974) dont l’enjeux était de montrer que des femmes meurent dans d’atroces souffrances en recourant à des avortements clandestins. Pour matérialiser ces souffrances, le corps des femmes est plié en deux pour montrer la douleur engendrée par le recours à des procédés illégaux.

À cette époque, 1974, la ministre française de la Santé Simone Veil affronte des députés de l’Assemblée nationale qui s’opposent à sa proposition de loi en faveur du droit à l’avortement. Une série artistique qui fait également écho à l’actualité : le 24 juin dernier, la Cour Suprême des Etats-Unis a fait le choix de révoquer l’arrêt qui garantissait aux américaines le droit à l’avortement dans tous les pays.

La figure du Christ est remplacée par celle du poète français Jean Genet, pour entrer en « résonance avec le messag~ tensions entre profane et sacré, agressions et désir, rixe et crucifixion […] ». Crédit photo : Céline Bonnelye.

La Perle

 Exposition “Ernest Pignon-Ernest”
Du 12 juin 2022 au 15 janvier 2023
Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc (FHEL)
Aux Capucins 29800 Landerneau