Zabou Breitman ressuscite des personnages de l’œuvre de l’américaine Dorothy Parker,
écrivaine et figure charismatique des années 1920. Un seule en scène jouissif.
Qui était Dorothy Parker ? Une écrivaine de talent, une poétesse et une critique littéraire avant tout. Une femme de lettres qui a écrit pour la chanteuse Billy Holiday et collaboré avec le réalisateur Alfred Hitchcock. Une figure de proue du magazine Vanity Fair et du journal le New Yorker des années 1920, enfin.
Mais celle qui se vantait d’être la femme la plus citée de son siècle est, en réalité, davantage passée à la postérité pour son franc-parler, son esprit vif et ses phrases choc. Au Théâtre du Petit Saint-Martin, l’actrice Zabou Breitman fair revivre ce personnage haut en couleurs, à l’épreuve de ses textes.
UNE REINE DE LA "PUNCHLINE"
« Toutes leurs émotions combinées ne rempliraient pas une cuillère à café » ou encore : « Et puis, il y a les Madame-je-sais-tout. […] Leur être sue la banalité factuelle. » Et puis : « On se demande par où il entrera en enfer » Dans le monde de Parker, les aphorismes vont bon train. Personne n’échappe à la dent dure de cette femme à la critique redoutée. Ses interventions, scandées de jurons, font plus que friser l’hérésie.
Zabou Breitman, par le choix d’une langue contemporaine et le recours à des interactions directes avec le public, instaure une complicité ludique tout en donnant des allures d’improvisation à sa mise en scène. En brisant le quatrième mur, ce rideau fictif qui sépare la scène de la réalité, elle parvient à transmettre le caractère corrosif de l’esprit de Dorothy Parker avec une fraîcheur bienvenue.
« Personne n’échappe à la dent dure de Dorothy Parker »
POÈMES AU VITRIOL
Si Parker combinait plusieurs activités d’écriture, c’est en tant que poétesse qu’elle a acquis une certaine notoriété. Mais ne nous méprenons pas pour autant sur la teneur de ses poèmes. Ceux-ci, qu’elle qualifiait plutôt de « vers », sont de véritables satires de la société de son temps. Alors qu’à l’époque de la Prohibition, la bourgeoisie new-yorkaise noie son ennui dans les bars clandestins, Dorothy Parker, en observatrice féroce, brosse des portraits sans concession de ses congénères.
Autant d’occasions pour la poétesse de débusquer l’hypocrisie de son temps. Autant d’occasions pour le public de se perdre de rire dans les saynètes irrévérencieuses proposées par Zabou Breitman, qui, tantôt conteuse, tantôt comédienne, se plaît à incarner ces personnages aussi cocasses que déroutants. Le fard des conventions ne résiste pas longtemps à l’humour cinglant de Parker.
LA MORT PLUTÔT QUE LA MÉDIOCRITÉ
L’amour, l’argent, la beauté, l’hypocrisie… sont, sans surprise, les thèmes de prédilection de la poésie de Parker. Tous les profils sociaux y sont acerbement singés avec une ironie parfois mordante, parfois morbide. Mais loin du persona de critique aigrie qu’elle s’était volontairement forgé, Parker était une femme pleine d’humilité et d’autodérision. Misanthrope assumée à l’écrit, elle n’en était pas moins activement engagée dans la lutte contre la misogynie, l’homophobie, et le nazisme.
De la même manière, si ses poèmes trahissent une certaine lassitude vis-à-vis du monde, c’est sans doute pour mieux dissimuler le sentiment d’urgence de vivre de cette impulsive qui parlait pour deux et ne supportait pas de perdre son temps. La personnalité complexe de Parker se ressent ainsi en filigrane dans les vignettes théâtrales que propose Zabou Breitman. Un voyage théâtral, littéraire, et humain.
Eva Savidan
La Perle
« Dorothy »
du 05 octobre au 18 novembre 2023
Théâtre du Petit Saint-Martin
17 rue René Boulanger 75010 Paris