Ce ne sont pas les images des traces de soupe sur les oeuvres qui devraient nous indigner mais la place négligeable que ces activistes écologistes semblent accorder à l’art dans leur lutte contre le réchauffement climatique et les injustices sociales.
Dimanche dernier, deux militantes écologistes du mouvement « Riposte alimentaire » ont pénétré dans le musée du Louvre et dégainé des jets de soupe rouge tomate à la figure de la Joconde. Un geste désormais connu des visiteurs. Depuis près de deux ans, des activistes européens du mouvement « Réseau A22 » s’en prennent régulièrement aux chefs-d’oeuvre des musées pour alerter le grand public de l’urgence climatique en cours.
Face à ces happening, rien de bien méchant. C’est l’indulgence – au mieux cordiale, au pire condescendante – qui devrait prévaloir. Car, lorsque ces militants interviennent, ils ne s’en prennent, et ils le savent, qu’à une vitre en verre. À une toile surprotégée. Pas à l’oeuvre elle-même. Passé le choc des visiteurs – qui prendront, à l’occasion, plus de photos – ou des internautes – qui auront tôt fait de s’attarder sur une autre vidéo -, un accident est vite oublié.
Pour autant, il y a bien de quoi s’indigner. Mais la raison s’inscrit plutôt dans ce qui advient après les images. L’indignation, en effet, devrait venir des mots : « Qu’est ce qui est plus important ? L’art ou le droit à une alimentation saine et durable ? » interpellent les deux militantes. Pour elles, c’est donc l’un ou l’autre, l’un avant l’autre. Comme si l’art était opposable au reste.
La raison invoquée par les militants de ce Réseau A22 est généralement aussi binaire que cette interrogation pseudo-réthorique : sans action immédiate de notre part, plus d’art du tout. Bien qu’il révèle une inquiétude absolument légitime, ce cheminement est une erreur – en plus d’être inefficace.
L’art n’est en rien opposable aux enjeux sociaux et environnementaux que portent ces mouvements, mais un outil précieux au service du sens, du message et de la forme qu’on veut bien lui donner. « Riposte Alimentaire » aurait tort de s’en priver, tant les artistes, les expositions et les musées d’aujourd’hui s’en emparent quotidiennement. Notre rédaction ne le constate que trop bien.
En novembre dernier, le musée d’Orsay organisait une soirée dédiée aux synergies entre culture et écologie à l’occasion de la programmation « Gen’Z’Art » dédiée à la jeunesse. Ce soir-là, les danseuses du collectif Minuit 12 avaient puisé leur chorégraphie époustouflante dans les peintres du XIXème siècle de l’École de Barbizon. L’activiste Camille Étienne avait lu, accompagnée du piano de Patrick Scheyder, des textes hautement prémonitoires de l’écrivaine Georges Sand (1872) sur la préservation du vivant : « La nature se lasse quand on la détourne de son travail ». Pas un bruit dans la salle. Attention absolue des visiteurs, disposés à écouter.
En substance, confiait plus tard Camille Étienne, on se sent moins seule quand on se sait précédée par les inquiétudes des artistes et auteurs du passé. Au-delà du buzz – auquel on finit par s’habituer – et de la rupture érigée en posture, ces militants et militantes devraient sans doute songer à la quête de sens. L’art est vecteur de créativité, d’imagination et donc de lendemains meilleurs. Une ressource précieuse face à la vertigineuse menace et au nécessaire défi climatiques qui nous guettent.
Perla Msika