« Mon seul amour : la vérité » déclame Émile Zola, interprété par Pierre Azéma dans « Zola l’infréquentable » au théâtre de la Contrescarpe. En duo sur scène avec Léon Daudet joué par Bruno Paviot, le célèbre Émile Zola, écrivain phare du XIXème siècle, se livre en effet à une bataille pour sa vérité, mais surtout pour l’innocence d’Alfred Dreyfus. En 1894, ce capitaine militaire est accusé à tort d’espionnage au service de l’ennemi juré de la République française : L’Allemagne. Des accusations teintées d’antisémitisme qui vaudront au militaire d’être dégradé et condamné au bagne à perpétuité. Rhétorique cinglante et harangue pour la justice : cette pièce est une superbe plongée dans notre Histoire, et un rappel bienvenu.
UN BEL EXERCICE RHÉTORIQUE
On plante le décor, ou plutôt le ring. D’un côté Émile Zola (Pierre Azéma), célèbre écrivain français (1840-1902) notamment connu pour sa fresque littéraire naturaliste des « Rougon-Macquart » – suivant les aventures d’une famille sur plusieurs générations et fondée sur l’observation des comportements humains. Il est considéré par son opposant comme prétentieux, désagréable, et auteur d’ouvrages trop crus. En face, l’arrogant, et visiblement jaloux, Léon Daudet (1867-1942 – Bruno Paviot), fils d’Alphonse Daudet, journaliste et écrivain. Zola ne voit en lui qu’un antisémite opportuniste et sans talent littéraire. Résultat ? La joute verbale, parfois drôle, aiguise l’esprit. Les acteurs évoluent dans un décor simple qui laisse place à la puissance du dialogue.
Une remarque : les propos cinglants des personnages ne font souvent qu’allusion à la vie riche en péripéties de Zola. Pour bien comprendre la pièce, il est recommandé de consulter son œuvre littéraire et sa carrière politique, au préalable. Il n’est cependant pas requis de devenir spécialiste.
“ZOLA S’ENGAGE POUR L’INNOCENCE DU CAPITAINE DREYFUS, ACCUSÉ D’ESPIONNAGE.”
Zola l’infréquentable – Théâtre de la contrescarpe.
UNE LUTTE D’ACTUALITÉ… UN SIÈCLE PLUS TARD
Le combat prend un nouveau tournant lorsque Daudet, convaincu, tient des propos antisémites sur l’affaire Dreyfus. Étant de confession juive, le capitaine Alfred Dreyfus est un coupable tout désigné pour l’armée et une partie des français, qui le jugent comme tel en 1894. Si les preuves de son innocence ne sont apportées qu’en 1896, l’état-major refuse de revoir son jugement. Zola s’engage alors pour la reconnaissance de son innocence, jusqu’à la publication de son incontournable pamphlet « J’accuse… ! », lettre ouverte destinée au Président de la République Félix Faure, publiée dans le journal L’Aurore en janvier 1898 afin de provoquer un nouveau procès. Daudet reconnaît alors l’audace de Zola.
Le conflit social de l’époque entre dreyfusards et anti-dreyfusards, est parfaitement matérialisé par cette opposition entre les deux personnages, et fait sans nul doute écho à notre actualité et notre rapport au débat. Parler d’hier, c’est aussi parler d’aujourd’hui.
ZOLA, VRAIMENT INFRÉQUENTABLE ?
« Zola l’infréquentable » : l’ambition est aussi de dépeindre autrement le monument de la littérature française qu’est Zola. Le face à face avec Daudet offre l’éclairage nouveau d’un auteur plus humain, avec des failles. L’accent est mis sur ses mœurs conjugales discutables – l’auteur vivait en ménage avec deux femmes différentes dont l’une a, au préalable, été sa domestique – ainsi que sur le rejet de son intégration à l’Académie Française. Daudet ne manque pas de souligner tous ses travers. Zola, lui, répond avec franchise mais clame aussi son engagement pour la justice qui l’a « rendu meilleur et plus propre ». Une percée dans la vie publique et intime d’un auteur emblématique dont on savoure les mots comme l’engagement.