Deux mains, la liberté : l’histoire d’un Juste parmi les médecins

Dans une pièce mise en scène et jouée par Antoine Nouel, le Studio Hébertot propose un morceau d’Histoire oublié, une passé égaré. L’histoire du docteur Felix Kersten, qui, en soignant le SS Heinrich Himmler, a sauvé des milliers de vies.

Illustration – Dans Deux mains, la liberté, on rencontre le docteur Kersten, qui en soignant l’un de ceux qui a bouleversé l’Histoire.

Il y a l’Histoire, ses dates indélébiles, ses évènements et ses faits inoubliables. L’Histoire et ses grande lignes. Et puis entre celles-ci, quelques parenthèses dissimulées, des chuchotements abandonnés qui en ont changé la direction. C’est l’un de ces murmures que l’on retrouve actuellement sur les planches du Studio Hébertot : dans Deux mains, la liberté, on rencontre le docteur Kersten, qui en soignant l’un de ceux qui a bouleversé l’Histoire, a permis d’en adoucir le cours. Une histoire vraie, d’amitié, de peur, de bonté et de vies sauvées. 

AU NOM DE L’HUMANITÉ…

Un divan et deux étendards nazis rouges vifs, mais aussi un bureau sur lequel repose un recueil sombre : « Mein Kampf ». Puis, une lumière tamisée, un homme en uniforme, et nous voilà plongés dans une des places névralgiques de l’Allemagne nazie : le bureau d’Heinrich Himmler. Plus haut dignitaire nazi et commandant suprême des SS. En quelques secondes seulement, se dévoile à nous la force du théâtre, et de cette pièce : le pouvoir d’un instant, qui nous emmène là où nous n’aurions jamais pensé aller. Ici, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, c’est dans l’intimité que se joue toutes les stratégies : vous assistez aux visites médicales d’un des plus grands bourreaux de l’humanité.

Si la scénographie nous aide fortement à nous projeter, la valse des trois personnages sur le plateau nous convint définitivement d’entrer dans leur monde. Phillipe Bozo joue un Himmler nerveux mais loin d’être caricatural, suivi par Franck Lorrain, un lieutenant Brand sensible, et enfin Antoine Nouel qui habite son rôle du Docteur Kersten à la perfection. Survolant les plateaux avec consistance et légèreté, il incarne une figure qu’on aurait pu croire légendaire : né en 1898, l’estonien Eduard Alexander Felix Kersten était un masseur thérapeute apprécié des hautes sphères européennes. Amené à soigner le mal d’Heinrich Himmler, il a fait usage de ses talents pour chuchoter à l’oreille du Reichsführer.

“LE DOCTEUR USE DE SA COMPLICITÉ AVEC HIMMLER POUR LE CONVAINCRE DE SAUVER DES VIES.”

Deux mains la liberté – Studio Hébertot.

… UNE HISTOIRE À RACONTER

Les comédiens nous jouent une partition parfaitement accordée, et proposent un enchaînement de scènes lunaires, où l’on découvre, surpris, la part d’humanité du chef de la Gestapo. Tout cela au gré de massages et de discussions entre le médecin et le Reichfürher. Car si la pièce raconte un fait historique, elle nous dit aussi une rencontre, une histoire d’amitié entre deux hommes que tout oppose.

Et au fil des années défilant sur les planches, on se fait emporter par cette relation florissante et le combat du docteur Kersten : sauver des vies, ou trouver de l’humanité chez quelqu’un qui semblait l’avoir délaissé pour de bon. Le thérapeuthe use de cette complicité pour convaincre le chef de la SS : des amis d’abord, puis quelques dizaines, centaines de personnes menacées d’extermination. Un affrontement entre l’amour et la peur, s’achevant dans un document, « Contrat au nom de l’humanité », dont le texte signé en 1945 de la main d’Himmler sous la supposée influence du soignant, a sauvé des dizaines de milliers d’existences. Le défaite des nazis se dessine, mais le SS s’engage, par ce texte, à ne pas donner l’ordre de tuer les déportés encore vivants ou à dynamiter les derniers camps de concentrations.

Si la situation peut sembler irréelle, voire absurde, jamais nous ne doutons du vraisemblable. Tant les trois comédiens incarnent leur rôle à la perfection, et disent avec nécessité un texte subtil et puissant. Une écriture fine où les mots traduisent avec force toute la cruauté et l’injustice d’une époque sombre. Mais aussi l’humanité, qui reste toujours, même enfouie, même cachée et déchirée. Et puis des monologues percutants qui savent convaincre toute la salle à applaudir. Des répliques qui viennent alors nous saisir et résonnent en nous encore à la sortie du théâtre. Et pour cause, Deux mains la liberté forge la légende d’une histoire vraie, la tirant, 80 ans plus tard, de l’intime vers la lumière de la scène.

Deux mains la liberté forge la légende d’une histoire vraie, la tirant, 80 ans plus tard, de l’intime vers la lumière de la scène.

La Perle

“Deux mains, la liberté ” 
Du 1er septembre au 11 décembre 2022
Studio Hébertot
78 bis Bd des Batignolles 75017 Paris
Metteur en scène : Antoine Nouel avec la participation de Frank Baugin
Avec : Antoine Nouel, Philippe Bozo et Franck Lorrain
studiohebertot.com