Disponible ce mardi sur Netflix, la nouvelle série d’Igor Gotesman et Pierre Niney parodie le milieu du cinéma. Une mise en abîme comique où tous les acteurs jouent des producteurs, des assistants réalisateur, des chefs opérateur.
Mais qu’en a pensé la « vraie » équipe du film ? Reportage aux côtés de ceux qui ont fait « Fiasco ».
« Ah vous êtes journaliste ? Mais dans la vie ou pour le film ? » nous lâche une figurante. À juste titre. L’environnement prête à confusion. Ce 15 février 2023, dans le grand cinéma des 7 Batignolles (Paris XVIIème), il y a ceux qui bossent et ceux qui font « mine de ». Des va-et-vient par dizaines entre un hôtel de la Porte de Clichy où se préparent les acteurs, et le plateau sur lequel s’ouvre un 22ème jour de tournage. Le vrai ? Le faux ? Un joyeux bazar. Un heureux « Fiasco ».
C’était il y a un peu plus d’un an. Une journée derrière les caméras de la nouvelle série française produite par Netflix. Disponible sur la plateforme ce mardi 30 avril, « Fiasco» parodie le milieu du cinéma dans un tournage qui vire au cauchemar. On y suit les aventures en sept épisodes de Raphaël Valande, un jeune réalisateur timoré qui voit son premier long-métrage voler en éclats. Mystère et catastrophe : un membre de l’équipe tente de saboter son film de l’intérieur.
UN « THE OFFICE DE NOTRE MÉTIER »
À l’origine de ce projet, deux pointures et amis : Igor Gotesman (Five, Family Business) et l’acteur Pierre Niney, héros de la série. La saison est filmée comme un faux documentaire, à la manière de leurs inspirations communes : « On voulait faire un The Office de notre métier, comme Igor et moi sommes très fans de la série » confie Pierre Niney en référence à la sitcom américano-anglaise sur un groupe d’employés de bureaux. Rasé à blanc, lunettes rondes sur le nez, son costume « d’empoté » détonne avec l’allure décontract’ qu’on lui connait.
Cette comédie aux allures de Cluedo a eu le temps de la maturation. L’écriture du projet date de la rencontre des deux scénaristes, dans les années 2010. À l’époque, Pierre Niney planche sur sa mini-série Casting (2013-2015) et Igor Gotesman songe à une série sur un tournage.
« On avait passé une semaine en écriture dans une maison de campagne. Avec nous, il y avait même François Civil qui joue aujourd’hui dans Fiasco » se souvient Igor Gotesman. Le scénariste est aussi réalisateur de la série. Mais nous étions trop jeunes. Nous n’avions pas encore les armes de scénaristes pour échafauder un si gros projet. Alors nous nous sommes d’abord tournés vers Casting. » Le projet ne ressuscite qu’en 2021.
la genèse de « Fiaco » date de la rencontre des deux scénaristes, dans les années 2010
ÉQUIPE COMPLICE
Sur le tournage, Mathilde Cavaillan s’agite. Sa voix rappelle à l’ordre. Elle est la première assistante réalisation et le repère de tous sur le plateau. « Bon les figurants, faites bien semblant de parler là ». Son sourire désolé nous refuse même un court échange. Dans ce remue-ménage où le vrai et le faux s’entremêle, sa silhouette marque le champ et l’hors-champ. Ça, et les bandes adhésives. Elles indiquent aux acteurs où se placer, par où passer. Au programme ce jour-là, une scène d’avant-première avec Pierre Niney et Géraldine Naccache. Elle, joue Magalie, une assistante réalisatrice très assurée, censée pallier la maladresse du héros.
Le tournage s’organise en quatre pôles : plateau, image, son et réalisation, d’où intervient justement Igor Gotesman. Les yeux vissés sur le moniteur du « combo », il chuchote à l’oreille des acteurs grâce à son casque. Une réplique plus ou moins appuyée, un geste un peu trop impulsif : les prises se répètent au fil de ses indications. Autant de prises nécessaires pour travailler la matière au montage. « Il y a parfois des scènes qui marchent bien à l’écriture et pas du tout en réalisation ou avec l’acteur qui la tourne» précise Igor Gotesman qui joue également dans la série.
Comme pour Family Business, la complicité donne le ton du projet. Aux côtés de Pierre Niney et Géraldine Naccache, des têtes familières des films d’Igor Gotesman : Ce jour-là, le très convoité François Civil flâne, dans l’attente de sa scène, en double costume orange/crème et teinture blond péroxydé. Une agitation à l’image de son personnage. On aperçoit aussi Pascal Demolon et Louise Coldefy (Family Business). Une complicité qui vaut également pour les apparitions plus modestes. Margot en est à son quinzième jour de tournage. Cette figurante détient le rôle très spécifique de troisième assistante caméra : « L’ambiance c’est un peu comme la colo tous les jours ».
Son look de « Spice Girl » a été confectionné par les costumes. Les cheveux décolorés bruns et blonds, en revanche, ça vient d’elle. « Je les ai gardés, je me suis dit que ça faisait pas mal assistante caméra » plaisante cette « silhouette ». Silhouette ? Elle précise : « C’est comme un figurant ++. J’apparait souvent à l’écran mais je n’ai pas de réplique ». Elle doit néanmoins connaître les gestes du métier. Pour cela, il n’y a qu’à observer : à deux pas du groupe de figurants, les assistants caméra s’activent sur le plateau, toujours à proximité du réalisateur.
Camille et Sephora sont costumières sur le tournage de « Fiasco ». Crédits photo : Léna Naouri
19h00 : depuis la terrasse au sommet des 7 Batignolles, on assiste à la tombée du jour. Les chefs opérateurs demandent à adapter la lumière du plateau. Leur indications techniques élaborent la direction artistique de la séquence. « Selon la lumière, on aura une ambiance neutre, comique ou thriller » détaille Alexis, 26 ans. Cet électricien, habitué des tournages de films et de clips, se serait bien vu chef opérateur « mais j’ai renoncé quand j’ai constaté qu’avant le volet artistique, c’est d’abord un métier de négocations et de politiques. »
Entre les prises, les petites mains entrent en scène, pour régler un projecteur ou recoiffer un acteur : « Là tu vois, je vois que Pierre a touché ses cheveux donc j’y vais » glisse Sophie, avant de sortir un peigne de sa banane d’accessoires. À 57 ans, elle coiffe les têtes de comédiens depuis plus de 20 ans. Ses retouchent doivent coller à l’allure du personnage, généralement élaborée des semaines avant.
Clap ! « et Action ! » s’écrit le réalisateur. La coiffeuse poursuit en chuchotant : « Pour sa séquence en Viking par exemple, François (Civil) aimait bien l’idée d’avoir des tresses au dessus comme dans la série Viking. On a intégré cette demande à la perruque de son costume. La coiffure a ensuite pris deux heures de préparation ». Dans un rôle, tout le monde ou presque a son mot à dire. En témoigne Séphora, costumière : « Ce qui est interessant dans nos métiers, c’est de constituer une identité. On donne vie aux rôles en veillant à ce que cela colle à la manière dont le comédien et le réalisateur voient le personnage ».
Pour Igor Gotesman, chaque tournage est une euphorie renouvelée : « Il y a toujours quelque chose de grisant à voir se réaliser en vrai ce que tu as écris et pensé dans ta tête ». En six mois de tournage, ce sont plus de 250 personnes, acteurs et figurants qui passeront à l’écran. Un projet gargantuesque présenté, début avril, au Festival Cannes Séries. Dans le grand auditorium Louis-Lumière de Cannes, les 2300 spectateurs ont accueilli la projection des seuls trois premiers épisodes par une standing ovation. Un lancement prometteur à mille lieux du « Fiasco ».
Perla Msika
La Perle