Écrit au XIème siècle par une femme de la cour impériale, le Dit du Genji est un roman fondateur de la culture japonaise.
Il a inspiré une iconographie foisonnante dans l’archipel nippon jusqu’aux mangaka de nos jours.
Le gingko aux couleurs d’automne nous accueille à l’entrée du musée Guimet. Cet arbre typiquement originaire d’Asie nous immerge déjà dans une temporalité proprement japonaise : celle des saisons et de la fugacité des choses. Et pour cause, le musée Guimet de Paris accueille l’exposition « À la cour du Prince Genji » dédiée à un monument de la littérature japonaise.
UNE IMMERSION DANS L'ÉPOQUE HEIAN
Rares sont les Français ayant lu l’œuvre de Murasaki Shikibu, poétesse japonaise du XIème siècle. Pourtant, la romancière est considérée comme le « Marcel Proust du Moyen-Âge nippon » par l’écrivain français Marguerite Yourcenar. Elle écrit le Dit du Genji, un roman d’intrigues de cour, autant amoureuses que politiques. L’œuvre, considérée comme le premier roman psychologique au monde, prend naissance dans le faste de la cour impériale de l’époque Heian («Heian-jidai » littéralement, « époque de la paix »).
Elle y dépeint les passions et les sentiments complexes des personnages, nobles de la cour, évoluant dans une culture aux mœurs sensibles et à l’étiquette stricte. Leurs loisirs sont entièrement tournés vers les arts. Le roman est désormais qualifié de « principe esthétique absolu » dans la culture japonaise. Il aura inspiré d’innombrables œuvres depuis presque un millénaire, qui ont fait perdurer les principes esthétiques de cette société.
À cette époque, la culture japonaise s’écarte peu à peu de la culture chinoise : un nouveau système d’écriture nait de la main de femmes de la cour, les hiragana, et celles-ci sont nombreuses à s’en emparer pour rédiger des œuvres intimistes, psychologiques et poétiques, dont le succès est parfois immédiat.
L’iconographie associée plonge les spectateurs dans l’intimité des personnages avec ingéniosité : la technique de la « vue du toit enlevé » née à cette époque permet de surplomber des scènes d’intérieurs où des visages émergent de pans d’étoffe, de longues chevelures, de couches de kimono et de paravents peints, et devient une composition caractéristique de la peinture japonaise.
« le Dit du Genji : un roman d’intrigues de cour, autant amoureuses que politiques. »
UN CHEF D’OEUVRE EXPOSÉ
Les œuvres autour du roman de Murasaki Shikibu trouvent leur apogée esthétique dans la deuxième partie de l’exposition consacrée au maître tisserand Itaro Yamaguchi. L’artisan et artiste japonais a offert à la France sa dernière œuvre à l’origine de l’exposition du musée Guimet.
Itaro Yamaguchi a ainsi légué au musée Guimet quatre splendides rouleaux tissés réinterprétant les fragiles rouleaux peints au XIIème siècle du Dit du Genji, en hommage aux artisans lyonnais ainsi qu’à l’œuvre de Murasaki Shikibu. Chef d’œuvre d’une vie, les quatre rouleaux tissés ont fait l’objet de plus de 30 ans de travail dans le choix des couleurs, la composition, et la recherche de nouvelles techniques de tissage.
Contre toute attente, ce voyage dans l’imaginaire japonais fait donc une escale à Lyon, auprès des tisserands et de leur technique du jacquard. Cette méthode de tricotage régionale consiste à alterner les points de couleurs différentes pour créer un motif et a été reprise avec brio par les artisans kyotoïtes. Lorsqu’au XIXème siècle, ces tisserands lyonnais ont transmis cette technique à une délégation de Kyoto, savaient-ils qu’ils seraient remerciés deux siècles plus tard par un artiste et maître tisserand japonais ?
La calligraphie tissée reprend les visuels des papiers traditionnels imprimés de feuille d’or et d’argent, tout en jouant avec les volumes des tissus et la richesse des couleurs de la soie pour donner aux motifs une profondeur presque magique…
Il faut se perdre dans les projections agrandies des rouleaux de la dernière salle de l’exposition pour apprécier toute la minutie du tissage d’une œuvre exceptionnelle qui, à la fin de l’exposition, ne pourra pas être réexposée avant les dix prochaines années en raison de sa fragilité.
Les amours, drames, et raffinements de personnages millénaires, après nous avoir éblouis le temps d’une exposition, s’évanouiront au printemps prochain. Les mots universels de la poétesse Murasaki Shikibu résonnent alors encore avec justesse : « Je ne me plains pas d’un destin partagé avec les fleurs, les insectes et les astres. Dans un univers où tout s’évanouit comme un songe, on ne nous pardonnerait pas de durer toujours. ».
Mathilde Srun
La Perle
« À la cour du Prince Genji :1000 ans d’imaginaire japonais »
Du 22 novembre 2023 au 25 mars 2024
Musée Guimet
6 place d’Iéna 75116 Paris
www.guimet.fr
Instagram : @museeguimet