Manufacture des Abbesses : dans la tête du menteur

Inspiré de faits réels, Le poids du mensonge se joue à la Manufacture des Abbesses jusqu’au 15 octobre. Adaptation de l’affaire Jean-Claude Romand, la pièce tente de comprendre ce qui  pousse un homme à mentir toute sa vie, jusqu’au drame.

Jean-Claude a passé vingt ans à se faire passer pour un médecin réputé. Crédits photo : Isabel de Francesco

Deux coups de feu. Surprise dans la salle, on commence par la fin. Une fin tragique, celle du meurtre d’une famille. Si le metteur en scène, Mitch Hooper, refuse de qualifier sa pièce de tragédie, selon lui trop courte et plus comique, elle comporte des éléments indéniables d’une tragédie moderne.

Le poids du mensonge est imprégné de l’idée de fatalité et de l’impossibilité d’échapper à son destin. Le protagoniste, Jean, a menti : un peu, au début, pour ne pas paraître ridicule, puis n’a jamais réussi à en sortir. Finalement, tout le monde l’a cru, un peu malgré lui. Une vie construite sur un mensonge. Une vie de fiction.

L’ESCALADE DU MENSONGE

L’histoire de Jean-Claude Romand a déjà inspiré écrivains et scénaristes. Et pour cause, son cas dépasse presque les limites de la réalité. En 1993, ce notable assassine sa femme, ses enfants et ses parents après avoir passé près de vingt ans à mentir et prétendre être médecin pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Vingt années fondées sur le mensonge, sur la manipulation de sa famille. Vingt années incompréhensibles, qui intriguent et laissent libre cours aux interprétations. Tenter de comprendre, de résoudre le mystère autour de cet homme, de décortiquer sa vie : voilà l’ambition de la pièce qui effleure du doigt des réponses sans jamais réussir à en apporter.

Le théâtre est le lieu de la fiction, là où tout peut arriver, là où tout peut s’imaginer. Dans la pièce de Mitch Hooper, le personnage principal, Jean, ne feint pas d’être médecin mais un publicitaire à succès côtoyant les plus grandes stars à la mode.

Un soir, il retrouve un vieil ami, et la boucle du mensonge se ressere. Crédits photo : Isabel de Francesco

A l’instar de Jean-Claude Romand, sa vie n’est qu’une imposture depuis le jour où il a prétendu avoir réussi HEC. Dans la pièce, Jean recroise par hasard le chemin de son ancien meilleur ami, Marc, qui l’envie et rêve d’être un écrivain reconnu.

Marc est en couple avec Laurence et Jean avec Carole, tous se connaissent depuis leurs études. Après une rencontre dans le parking d’un centre commercial, les deux couples décident de dîner ensemble et de faire le point sur leur amitié blessée.

Mitch Hooper tourne sa pièce vers le passé. Il tente d’expliquer et de revenir sur les raisons qui ont poussé à l’escalade du mensonge de Jean sans jamais y parvenir. Le mystère des convictions de Jean reste entier puisque son geste et son mensonge sont, par essence, incompréhensibles.

Jean conserve  ses parts d’ombre même lorsqu’il se livre. Les dialogues reviennent sur ses années universitaires et sa relation avec ses amis. La mise en scène reflète cette introspection. Tout est blanc, lumineux, Jean porte un pantalon et une chemise clairs. On reste sur le seuil de la maison sans jamais y entrer, comme un purgatoire. C’est dans ce décor que Jean va confier tout ce qu’il a fait, revenir sur ses choix passés, se libérer du poids du mensonge.

Le poids du mensonge parle surtout de non-dits, de regrets, de nostalgie. Crédits photo : Isabel de Francesco

« J’ai surtout cherché ce qui résonnait en moi, en nous tous. »  Mitch Hooper

DISSÉQUER LES SENTIMENTS UNIVERSELS

Malgré le caractère insaisissable de l’acte commis par Jean et de l’ampleur de son imposture, la pièce parvient à évoquer des sentiments universels. Le poids du mensonge parle surtout de non-dits, de jalousie, de pouvoir, d’hypocrisie, d’argent, mais aussi de regrets et de nostalgie.

Mitch Hooper tente de disséquer les sentiments qui animent ce couple d’amis, des sentiments altérés par le poids du temps et par les failles du passé. La pièce est rythmée par des dialogues en duo, dans lesquels deux personnes partagent un secret, se sont ratés, s’envient, et font éclater des vérités.

La pièce est une peinture de l’hypocrisie et de la jalousie, des amours interdits et ratés, de la frime et de l’égo, de névroses et de faux-semblants. Un condensé des sentiments mauvais qui traversent les hommes, ou la représentation d’hommes mauvais, qui finissent par chuter.

Le poids du mensonge décrit un microcosme qui a abouti à la chute de Jean et le meurtre de sa famille, une chute engendrée par un milieu où l’accent est mis sur l’image plutôt que l’authenticité, sur la facilité du mensonge et de l’hypocrisie, où la confiance de chacun finit par être trahi.

Cette pièce est celle de ceux qui se sont inventés une vie et de ceux qui sont passés à côté de leur vie. Finalement, tous ont fait semblant d’être et de ne pas voir, tous se sont mentis.

Armelle Sauger

La Perle

« Le Poids du mensonge »
Du 24 août au 15 octobre 2023

Manufacture des Abbesses
7 rue Véron 75018 Paris

www.manufacturedesabbesses.com
Instagram : manufacturedesabbesses