Ils ont des parcours similaires mais des traductions artistiques totalement différentes. Dans« Manet / Degas », le musée d’Orsay réunit plus d’une centaine d’œuvres pour révéler les similitudes et contrastes entre Edouard Manet et Edgar Degas, les deux peintres des années 1860-1880. Ayant évolué dans des univers presque identiques, ils ont pourtant un regard opposé sur les mêmes sujets et des styles artistiques propres. Leur complicité et conflits émergent également dans les œuvres qui dialoguent de manière touchante.
VIES PARALLÈLES ET PEINTURES CROISÉES
Edouard Manet Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) ont eu des parcours et formations analogues. Tous deux nés à Paris, ils sont fils aînés de familles bourgeoises, et doivent leur apprentissage artistique à la copie des maîtres anciens. La légende veut d’ailleurs qu’ils se soient rencontrés au Louvre devant une toile du peintre espagnol Diego Velázquez que Degas copiait.
Mêmes influences artistiques, mais aussi mêmes fréquentations et mêmes marchands d’art pour appuyer leurs carrières. Pourtant, si les œuvres témoignent de la proximité de leurs sources d’inspiration, leurs traitements artistiques et leurs visions divergent. Par exemple, tous deux ont traité le sujet des courses hippiques dans les années 1860, mais Degas dépeint le moment qui précède le départ et l’impatience des montures, quand Manet, lui, n’est que galop et temps accéléré.
Toutes les œuvres présentées permettent de distinguer nettement les deux styles. On constate ainsi que Degas opte souvent pour des couleurs sombres et se rapproche du mouvement impressionniste, quand Manet s’en tient majoritairement à distance et privilégie les couleurs vives.
Crédits photos : Les courses à Longchamp, Edouard Manet, 1866
DES REPORTAGES IMAGÉS D’UNE ÉPOQUE
Le Paris moderne occupe une place privilégiée au sein des productions respectives de Manet et Degas. Presque naturalistes, ils représentent tous deux des Parisiennes dans leur environnement familier. Cependant, Manet peint ses modèles dans des poses et tenues mettant en valeur leur caractère, quand Degas cherche à saisir le pouvoir expressif des corps et des attitudes.
La comparaison entre Dans un café de Degas (1875-1876), et La Prune de Manet (1877), est un bon exemple de cette différence de conception : ils ont représenté l’actrice Ellen Andrée dans le café de la Nouvelle-Athènes devant un verre d’absinthe. Chez Degas, hébétée par l’alcool, l’actrice est triste et avachie. Au contraire, sous le pinceau de Manet, elle a une attitude enjouée et séductrice.
Ces sujets, ainsi que leurs nombreux portraits de personnalités publiques ou artistiques – telle que la peintre Berthe Morisot – se font les témoins de leur époque. Très réalistes, leurs œuvres transportent dans un autre temps et ouvrent les esprits sur une société passée.
Dans un café, Edgar Degas, 1875-1876
La Prune, Edouard Manet, 1877
L’ÉMOTION AU BORD DES OEUVRES
Les caractères de Manet et Degas étaient également très différents. Quand Manet est décrit comme à l’aise en société et avec les femmes, Degas semble avoir été plus réservé. Les traductions picturales de ces personnalités opposées sont mises en valeur, notamment dans leurs représentations des relations hommes-femmes. Tandis que Manet peint des femmes sûres d’elles, les relations entre les deux sexes paraissent toujours déséquilibrées et dérangeantes dans les œuvres de Degas.
L’exposition souligne aussi l’amitié, parfois houleuse, entre les peintres, pour proposer un regard inédit sur leurs créations. Ainsi, Degas a réalisé de nombreux portraits de Manet, alors qu’on ne connaît aucune représentation de Degas par Manet. Ce dernier aurait d’ailleurs coupé la partie d’une toile offerte par Degas sur laquelle la représentation de Madame Manet au piano lui déplaisait. Ces détails apportent un caractère touchant à l’exposition : des relations humaines au delà de leur légendes de maîtres de la peinture.
Par ailleurs, l’admiration de Degas pour Manet s’est manifestée après la mort de ce dernier par la collection d’œuvres de Manet dont Degas pensait faire un musée. Nombre d’œuvres présentées sont issues de cette collection, pour rendre un dernier hommage à leur complicité.
