À Enghien-les-Bains, numérique, informatique et nouvelles mythologies

Le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains propose une exposition portant sur l’avènement du numérique. En reprenant la légende de Prométhée, figure de la mythologie grecque qui sera punie pour avoir mis le feu sacré à disposition des êtres humains, l’exposition offre un parallèle à la fois saisissant et effrayant sur les conséquences de notre maîtrise des nouvelles technologies.

Illustration Autant d’œuvres qui déclenchent des émotions contradictoires sur les potentialités humaines offertes par la technologie. Photo : Monde IV, Sabrina Ratté. Crédit photo : CDA Enghien.

Que nous réservent les nouvelles technologies ? Monts et merveilles ou chaos dystopique ? Pour y répondre, l’exposition « Prométhée, le jour d’après » au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains convoque la mythologie grecque. Réalisée en collaboration avec le Centre Wallonie de Bruxelles, elle croise les œuvres d’une quinzaine d’artistes jusqu’au 18 décembre 2022. Mais pour lire l’analogie de cette exposition, il est essentiel de revenir aux prémices du mythe originel de Prométhée.

UN FEU D’UN GENRE NOUVEAU

Titan de la mythologie grecque, Prométhée a voulu faire preuve de générosité en dérobant le feu sacré des dieux pour le transmettre aux hommes. Jusqu’ici démuni et sans ressources, l’homme devient alors l’espèce la plus ingénieuse grâce aux multiples techniques induites par le feu. Les œuvres présentées dans la première partie de l’exposition ne sont pas sans rappeler le postulat initial du mythe de Prométhée, celui de la fragilité de notre condition humaine. L’installation sonore et graphique SARA, Souvenir Archival Recording Apparatus de VOID, un projet initié par le duo Arnaud Eeckhout et Mauro Vitturini, est une entreprise fictive qui collecte et archive des traces orales et mémorielles, tels des vestiges de notre monde contemporain. Dans une pièce insonorisée, vous pouvez dévoiler le souvenir de votre choix ; celui-ci sera retranscrit de manière graphique sur un grand cylindre de papier noirci.

L’artiste Sarah Caillard propose, quant à elle, une plongée dans les vestiges de l’existence avec l’œuvre The temptation to be a fiction. Deux sculptures représentant des formes humaines se tiennent côte à côte ; l’une en béton armé, et l’autre, de forme spectrale, en fibre de verre. Une manière d’évoquer la complexité et la pluralité de l’être, entre matérialité du corps, ruines et fragilité. Comment encore ne pas se sentir tout petits face à l’œuvre Larmes de la Terre de Charlotte Charbonnel ? Nous voilà happés par la puissance des volcans, ces forces naturelles qui nous dépassent et qui dégagent une puissance créatrice autant que dévastatrice dans cette installation vidéo et sonore immersive.

La notion grecque d’hubris.

VERS L’INFINI ET AU-DELÀ ?

Le mythe de Prométhée apporte une seconde réflexion plus critique sur les conséquences et les risques potentiels d’une telle maîtrise sur l’environnement terrestre. En effet, on y retrouve la notion grecque d’hubris, aussi appelée démesure, à savoir la folle tentation de l’Homme de se mesurer aux dieux et ainsi de s’élever au-dessus de sa condition. Un parallèle que l’on retrouve dans l’exposition avec l’avènement du numérique : les nouvelles technologies comme volonté de dépasser notre condition humaine par le prisme du transhumanisme – mouvement prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer notre condition mortelle par l’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains. Avec la naissance de l’informatique dans les années 1960 et la nouvelle révolution industrielle en cours, les avancées technologiques se succèdent à un rythme effréné et dessinent de nouveaux enjeux civilisationnels : intelligence artificielle, impression 3D, réalité virtuelle, robotique… Autant de perspectives où les mondes physiques, numériques et biologiques convergent, soulevant de nombreuses questions éthiques. 

Dans son travail, Frederik De Wilde explore les dérives post-humanistes portées par la technologie, comme le système CRISPR aussi appelé « ciseau génétique », qu’il met en lumière sur une sculpture de John Gibson R.A. (1790-1866). En matérialisant notre intervention sur l’ADN, Frederik De Wilde transforme l’œuvre classique en création cellulaire quasi-méconnaissable. L’œuvre Margaret de Mathieu Zurtrassen, questionne aussi le statut actuel de ce que l’on appelle encore maladroitement l’Intelligence Artificielle. Dans cette installation, une IA entraînée par un humain décide de créer à son tour son IA pour combler sa solitude et nous révèle sa capacité à retranscrire des émotions en puisant dans une base de données. Autant d’œuvres qui déclenchent des émotions contradictoires sur les potentialités humaines offertes par la technologie. 

“ALICE PALLOT IMAGINE UN UNIVERS FUTURISTE OÙ LE MONDE VÉGÉTAL AURAIT DISPARU DE NOTRE CIVILISATION.”

Crédit photo : Alice Pallot Centre Wallonie Bruxelles.

LE JOUR D’APRÈS

Scénarios catastrophes, séries dystopiques, … Avec l’urgence climatique notamment, les multiples récits dépeignant un avenir sombre et incertain sont devenus notre lot quotidien. Dans certaines fictions d’anticipation, la technologie tient parfois un rôle destructeur, poussé à son paroxysme, avec des machines qui se retournent contre les êtres humains. L’exposition nous pousse justement à prendre de la hauteur sur ces spéculations dramatiques

Dans la vidéo Symbiotic Rituals, Justine Emard va à contre-courant du traditionnel rapport homme-machine. Ici, ce sont deux robots qui communiquent ensemble dans un échange attendrissant de regards et jeux de mains, une relation étonnante dans laquelle n’émane aucune froideur mécanique. Alice Pallot a décidé d’aller encore plus loin dans l’exercice d’anticipation avec sa série photographique « Oosphère ». Elle imagine un univers futuriste où le monde végétal aurait disparu de notre civilisation et où une communauté scientifique tenterait de faire germer de nouveaux organismes et de redonner vie à des espèces disparues. Une manière d’apporter une lueur d’espoir dans une projection pourtant assez sombre. Dans une visée plus poétique, l’artiste Filipe Vilas-Boas, qui examine avec humour et philosophie les temps hypermodernes, nous permet de jouer avec la Voie Lactée à l’aide d’un orgue de barbarie. L’Astrophone est une projection interactive, méditative et musicale qui traite de l’exploration spatiale et de la quête de sens. 

On achève l’exposition en douceur avec l’œuvre lumineuse d’Adrien Lucca, qui a su recréer artificiellement une source de lumière naturelle en s’inspirant des gammes chromatiques que l’on observe à l’horizon, lorsque le soleil vient de disparaître mais que le ciel reste éclairé. Une installation apaisante qui inonde le dernier espace d’exposition.

« Prométhée, le jour d’après » ouvre un espace de réflexion original, intemporel et délivre un message fort : derrière chaque prouesse ou dérive technologique, ce sont bien nous, in fine, qui tenons les manettes. La question n’est pas, où la technologie va t’elle nous mener, mais plutôt, que va t-on décider d’en faire ? Sommes-nous inévitablement voués à aller toujours plus loin, quitte à se brûler les ailes ? Ou saurons-nous garder la maitrise de notre existence ? La question est ouverte. 

La Perle

Exposition “Prométhée, le jour d’après”
Du 21 septembre au 18 décembre 2022
Centre des Arts d’Enghien-les-Bains
12-16 rue de la libération 95880 Enghien-les-Bains
www.cda95.fr
Instagram : @centredesarts95