Munch, croquer le poids de la vie

Le musée d’Orsay consacre une rétrospective sur l’œuvre du célèbre Edvard Munch (1863-1944). « Un poème de vie, d’amour et de mort » met en lumière les obsessions de l’artiste norvégien, sa méthode et le style original avec lequel il conçoit ses œuvres.

Le Cri, 1893, Tempera sur carton.
Le Cri, 1895, lithographie imprimée en noir. Coloriée à la main en rouge, bleu et jaune, The Gundersen Collection, Oslo, Norvège. Crédit photo : Céline Bonnelye.

Le musée d’Orsay, en collaboration avec le Munch Museet d’Oslo, présente plus d’une centaine d’œuvres du peintre norvégien Edvard Munch jusqu’au 22 janvier 2023. Peintures, dessins et estampes rendent compte de la pratique particulière mais aussi de la diversité de ses talents. Un talent au service d’obsessions qui conditionnent les sujets de l’artiste à une exorcisation de ses pensées morbides.

NE PEINDRE QUE L’ESSENTIEL

Le peintre est trop souvent réduit à l’émotion terrifiante que suscite son célèbre tableau, Le Cri (1893). Une émotion qui occulte son approche esthétique novatrice. Pour ne représenter que les émotions, Munch y expérimente une simplification de la forme au point de ne dessiner qu’un simple visage déformé en tenaille entre deux « mains » et au cercle buccal vide.

Cette réduction des détails permet de ne garder que l’essentiel : Dans l’œuvre Le Baiser, les contours des corps des deux personnes qui s’embrassent fusionnent. Leurs visages ne forment plus qu’un. Cette fusion rappelle le mythe antique des âmes sœurs chez les Grecques. À l’origine, l’humain possédait deux têtes, quatre bras et quatre jambes. Cousu à leur partenaire idéal, les humains délaissent les dieux. Zeus, roi de l’Olympe, décide alors de les séparer pour leur faire ressentir le manque. 

“MUNCH NE GARDE QUE L’ESSENTIEL : DANS LE BAISER, LE VISAGE DES AMOUREUX FUSIONNE.”

Le Baiser, Edvard Munch, 1897.

Ce synthétisme symbolique de Munch est bien visible à travers la rétrospective du Musée d’Orsay. Si le cycle de la vie dicte l’inspiration du peintre, c’est aussi parce qu’il répète encore et encore ses sujets que Munch procède à un délaissement des détails. Et si Le Cri est l’œuvre la plus connue du grand public, il n’en existe pas qu’une seule version, comme le montre l’estampe exposée. Cette gravure est la première version imprimée connue. Cette récurrence du motif est mise en avant par la scénographie de l’exposition : l’œuvre Les jeunes filles sur le pont est gravée dans des palettes différentes avec un trait plus au moins marqué selon la technique employée.

EXORCISER LES ANGOISSES

Cette récurrence permet aussi de représenter les grandes étapes de la vie. Munch les conçoit comme un cycle ponctué d’angoisses. Des deuils personnels l’illustrent très justement : ce fils de médecin perd sa mère, puis sa sœur aînée durant la petite enfance. La mort de son frère, puis de son père à l’âge adulte le bouleverse. De nature anxieuse voire torturée, l’art s’impose, pour lui, comme un exutoire. Ces peurs, l’artiste décide de les exprimer dans ses œuvres, comme dans Puberté. Une jeune fille nue assise sur un lit à la posture proscrit semble submergée par une immense ombre qui se dessine derrière elle. Cette angoisse du changement ou de l’avancée dans la vie, Munch l’exorcise aussi par plusieurs tableaux reprenant le motif d’un corps allongé dans un lit et veillé. Cette omniprésence de la mort croque même le coup de l’amoureux. Le motif du vampire, initialement appelé Amour et Douleur, souligne bien que, pour l’artiste, même l’amour est source de perte d’énergie vitale.

Dans cette psychanalyse artistique, Munch use de nombreuses techniques picturales dont la peinture à l’huile, le dessin, l’aquarelle mais plus particulièrement la gravure. Car chaque technique possède ses caractéristiques esthétiques : l’artiste norvégien s’initie à toutes les types de gravures. Il joue avec les nervures du bois de la xylographie pour rapprocher le corps des deux amants ou avec la finesse du zinc pour avoir recours à une palette plus aérienne. Il décide même de poser la pierre sur un chevalet à l’instar d’une toile pour reprendre la dynamique du geste de la peinture dans ses lithographies. Munch ne réalise pas moins de 750 estampes au cours de sa carrière. Un artiste novateur et prolifique dont la tension émotionnelle illustre avec brio la mélancolie de la fin du XIXème siècle. 

Vampire dans la forêt, 1924-25. Crédit photo : Céline Bonnelye.
Jeunes filles sur le pont, 1901.

La Perle

Exposition “Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort”
Du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur 75007 Paris
www.musee-orsay.fr
Instagram : @museeorsay