Frida Kahlo : garde-robe d’identités au Palais Galliera

En collaboration avec le Museo Frida Kahlo, le Palais Galliera propose une exposition hors-normes qui célèbre l’œuvre et la garde-robe éclatante de l’artiste mexicaine. Un parcours qui bat en brèche les clichés qui collent à la mode : loin du simple apparat décoratif, le vêtement est, ici, présenté comme une source d’inspiration et de création à part entière.

Le vêtement mexicain traditionnel et son attachement à la mexicanidad permettent à Frida Kahlo de construire son identité artistique. Crédit photo : Laurent Julliand.

Les frontières entre art et mode remises en question au Palais Galliera. Et c’est Frida Kahlo qui s’en charge. L’artiste mexicaine fait, jusqu’au 5 mars 2023, l’objet d’une exposition évènement : on plonge au coeur des tenues et accessoires qui ont fait d’elle une icône contemporaine autant qu’une source d’inspiration pour les artistes et designers

UN STYLE ASSOCIÉ À UNE IDENTITÉ MEXICAINE TRÈS FORTE

Dès la première salle le ton est donné : le lien à la mode et à la mise en scène nous est présenté comme crucial dans le parcours de l’artiste. C’est à travers l’objectif de son père, photographe immigré allemand, que Frida Kahlo apprend à poser : On la voit en tenue traditionnelle mexicaine, mais aussi ses parents qui prennent la pose déguisés. Une photographie, celle de sa mère, n’est pas sans rappeler les futurs tableaux de Frida Kahlo : Matilde Calderòn pose en « Adelita », image du folklore populaire associée à la révolution mexicaine (1910-1917) devant un décor de studio peint. Un goût pour la mise en scène et le déguisement qui ne quittera pas la jeune Frida puisqu’elle se peint elle-même en « Adelita » 30 ans plus tard, – deux ans après son terrible accident de bus qui l’a laissée paralysée. Cette première salle dresse l’ébauche de la sensibilité artistique de Frida Kahlo : mise en scène photographique, rôle du déguisement et du vêtement mexicain dans la construction de son identité

Le vêtement mexicain traditionnel et son attachement à la mexicanidad permettent, en effet, à Frida Kahlo de construire son identité artistique. On découvre ainsi des archives de La Casa Azul qui constitue à elle-seule le  musée vivant de l’artiste : artefacts de l’art populaire mexicain, peintures votives, sculptures pré-coloniales, autant d’objets qui ont peuplé la vie et l’imaginaire de l’artiste. On découvre son vestiaire varié et chatoyant : robes en velours aux broderies florales, jupes brodées au crochet et coiffes extraordinaires… Le vêtement traditionnel mexicain, la Tehuana, était porté quotidiennement par l’artiste tout comme ses multiples accessoires : il ne s’agissait pas pour elle de strike the pose ( prendre la pose, en français) sous l’objectif d’un photographe ; le vêtement était constitutif de sa personnalité et de son quotidien

Certains éléments de la culture et de la mode traditionnelle mexicaines ont inspiré des designers contemporains dont les créations sont exposées dans la très belle exposition-capsule à l’étage. Frida Kahlo en est la messagère. C’est le cas du resplandor, coiffe de cérémonie inspirée des coiffes des statues de la Vierge Marie. Porté par la peintre, cet accessoire a inspiré un collection haute couture de Valentino en 2019  : on retient notamment la sublime robe « Chocolat Dahlia » tout en organdi et organza. Un pas de plus dans la salle, et on est saisi par l’époustouflante robe de Noir par Kei Ninomiya (2020) : virtuosité sculpturale de ruchés en polyester translucide. Puis, on arrive devant la robe Comme des Garçons (2012), apparition blanchâtre en maille de polyester dévorée de fleurs en tricot et dentelle de polyester.

Crédit photos : Laurent Julliand.

ARTISTE TRANSGRESSIVE, PERSONNAGE ANDROGYNE

Le vêtement et le travestissement permettent aussi à Frida Kahlo de se créer une identité d’artiste au-delà des frontières du genre. Dès les premières salles, sur des photographies d’archives, on peut la voir poser en costume d’homme sous l’objectif de son père. Ce cliché de 1926 montre les prémices de l’androgynie que va cultiver l’artiste tout au long de sa vie et de son art. Elle a une grande fascination pour les femmes et la mode de l’isthme de Tehuantepec, une région éloignée de Mexico où les femmes géraient tous les aspects de la société. Elle en gardera le goût pour les coiffes opulentes et chargées ainsi que les magnifiques tenues Tehuana dont certaines tuniques (ou huiliples) sont exposées parmi ses tenues. Bisexuelle assumée, Frida ne manque pas de questionner le rapport au genre dans ses tenues et dans ses tableaux : elle accentue volontairement sa moustache noire et son monosourcil, et parle « des seins » de son époux, Diego Rivera.

Dans l’exposition-capsule on peut voir que Karl Lagarfeld reprend d’ailleurs le monosourcil comme élément stylistique à travers une série de photos de Claudia Schiffer qui rendent hommage à la personnalité transgressive de Frida Kahlo. On remarque aussi plusieurs pièces de la collection de prêt-à- porter de Richard Quinn (2021) qui s’inspire de son identité LGBT : masques et combinaisons en latex noirs révèlent une cascade de broderies inspirées par une imagerie florale et catholique décadente.

“DU SEXE OPPOSÉ, J’AI LA MOUSTACHE ET LE VISAGE EN GÉNÉRAL.“

Frida Kahlo (à gauche : Frida Kahlo par Julien Levy, vers 1938 © DR, collection privée © Diego Rivera and Frida Kahlo archives in the Frida Kahlo and Diego Rivera Museums Trust)

C’est aussi à travers les accessoires et les bijoux que Frida Kahlo construit son identité et son rapport au corps. L’ensemble de ses accessoires, bijoux et prothèses sont regroupés dans la grande salle de la galerie d’honneur. Corsets, orthèses, bijoux et autres accessoires se côtoient et se succèdent dans une joyeuse danse macabre. Outils chirurgicaux ou artefacts ? Toute l’ambiguïté et la beauté de l’œuvre de Frida Kahlo réside dans ces objets qu’elle a réinventés pour dévoiler des visions personnelles et fantasmées de son corps. Suite à sa douloureuse convalescence, ses corsets deviennent un support de création et c’est ainsi que le vêtement et l’accessoire, à l’image d’une toile de peintre, deviennent un support d’expression à part entière.

Parmi les prothèses, un corset en plâtre de 1941 décoré sur la poitrine du symbole communiste ou encore un corset orthopédique en métal et coton (1944) qui fait écho au corset blanc que Frida Kahlo peint dans le tableau La Colonne brisée (1944). Une autre œuvre, la toile Souvenir (le Coeur), peinte en 1937, met en scène le rapport douloureux de l’artiste au corps et son lien viscéral au vêtement dans sa quête identitaire. On y voit le corps de Frida Kahlo transpercé par une tige lors de l’accident, debout sur une plage où flottent une tenue d’écolière et une robe Tehuana. Divisé en trois partie, à l’image de son propre corps, le tableau atteste de la fragmentation de son moi et peut-être de son rapport au vêtement pour recréer du lien au sein de ce corps fragmenté.

Ce rapport douloureux et chaotique à l’anatomie a inspiré de nombreux designers dont certaines créations sont exposées dans l’exposition-capsule. On peut voir les inquiétants corsets d’Alexander Mcqueen pour Givenchy : le très beau corset en plastique moulé incrusté de papillons naturalisés et le corset anatomique avec ses abdos entièrement moulés en cuir. L’accrochage présente aussi les éblouissantes robes de Riccardo Tisci pour Givenchy: il retravaille l’anatomie du corps et puise dans l’imaginaire catholique grâce à un savoir-faire Haute Couture d’application de dentelle et un jeu savant de broderies en perles de porcelaine. Véritable tourbillon de création, l’œuvre de Frida Kahlo démontre une chose à travers cette exposition : la frontière entre les arts et plus largement entre les arts et les arts décoratifs est une construction qu’il est parfois nécessaire de rappeler dans un contexte où le décloisonnement des arts bouge lentement mais surement.

On peut voir les inquiétants corsets d’Alexander Mcqueen pour Givenchy : le très beau corset en plastique moulé incrusté de papillons naturalisés et le corset anatomique avec ses abdos entièrement moulés en cuir. Crédit photo : Laurent Julliand.

La Perle

Exposition “Frida Kahlo, au-delà des apparences”
Du 15 septembre 2022 au 5 mars 2023
Palais Galliera
10 Avenue Pierre 1er de Serbie 75116 Paris
Instagram : @palaisgallieramuseedelamode