Bourdelle a bon dos

Le musée Bourdelle propose un parallèle étonnant entre les sculptures d’Antoine Bourdelle et l’histoire du dos dans la mode. Deux disciplines se rencontrent.

Première Victoire d’Hannibal Bourdelle – 1885 et Robe ailée Thierry Mugler HC – 1984. Crédit photo : Perla Msika.

Passé le jeu de mot facile en phrase d’accroche, et après plusieurs mois sans avoir posté une ligne, je n’aurais pas trouvé meilleure exposition pour me remettre à l’ouvrage. Car en dépit de tout ce qu’on peut constater d’incompatible entre l’histoire du dos dans la mode racontée par « Back Side » au musée Bourdelleet la sculpture classique d’Antoine Bourdelle, il faut voir un peu plus loin. 

LA MODE, CLÉ DE MODERNITÉ

Alexandre Samson, commissaire de l’exposition – et responsable des collections contemporaines au Palais Galliera – met la mode sous un nouveau jour. Ou comment faire de l’Histoire de l’Art une clé de la modernité. Redorer une discipline créative en la confrontant à une ou plusieurs autres n’est certes pas chose nouvelle. C’est même l’apanage de l’art contemporain. Il est plus question ici de l’harmonieuse mais hasardeuse conciliation entre l’artiste, le lieu et le thème de l’exposition.

Le musée d’abord. Dans un quartier ou l’architecture parisienne n’est que trop modestement exploitée dirons-nous, la maison et ancien atelier de Bourdelle ne paye franchement pas de mine de l’extérieur. Bien grand me fasse, la première impression n’est pas toujours la bonne. Une fois passés la caisse et le portique de sécurité, c’est une perle de construction, aussi rare que bien cachée qui nous attend. Brique, pierre et bronze particulièrement soulignés par l’éclairage caniculaire, s’unissent pour donner aux anciens ateliers du sculpteur une allure de temple. Et le Grand Hall, inauguré en 1961 ne vient que souligner cet aspect. 

Plus on marche et plus on découvre entre ces murs ce que fut l’art du XIXème siècle : La Nature pour modèle, l’Histoire pour Bible, la Modernité pour ligne de mire. Et Bourdelle, maître sculpteur au nom peu vendeur, dépassé par son rodinien d’élève gagnerait, lui aussi, à ce qu’on ne lui tourne pas le dos : académique quand il le fallait, les nus – masculins comme féminins – n’avaient visiblement pas de secret pour lui. Du voûtement du dos jusqu’à la saillance des muscles. De la ligne du sein jusqu’aux rondeurs des bras. Comme tous les génies de ce monde, il connaissait avant tout, ses classiques, pour mieux les dépasser. Car son véritable coup de marteau réside dans la massivité de ses sculptures, parfois monumentales, toujours majestueuses, et contre toute attente, picassiennes avant l’heure. Quand Picasso peignait un massif retour à l’ordre avec Trois femmes à la Fontaine, Bourdelle trottait assurément dans son esprit. 

DOS MASCULIN, DOS FÉMININ

Bourdelle est donc à l’ Histoire de l’art, ce que le dos est à la mode : essentiel mais négligé. « Back Side » arrive juste à temps pour hisser sur le podium ce parallèle étonnant. Jamais je n’aurai cru que le dos d’un vêtement pouvait receler autant de questionnements. De la traîne aux messages politiques en passant par la fermeture de l’habit, le dos est une affaire de société. Puisque le féminisme est aujourd’hui sur toutes les lèvres, qu’il serve d’exemple : en regardant la robe fourreau fermée par 51 boutons de John Galliano ou le corset « Passe Passe » de Jean Paul Gaultier, on constate combien la garde robe féminine – contrairement aux vêtements masculins – est dépendante d’un tiers : elle se ferme par l’arrière. Une autre paire de main est nécessaire pour s’habiller, pour s’enfermer d’une étoffe qui, grâce à un visuel explicite, n’est pas sans rappeler la camisole de force. L’homme, lui, se refuse à l’asservissement : il ne dépend ni d’autrui, ni de sa garde robe. Jamais ses tenues ne tiennent par le dos. 

Pis, l’homme refuse même qu’on l’approche. C’est là le rôle de la traîne, et ce, depuis la nuit de temps . Enfin, au moins depuis le XIIIème siècle. Ce qu’on appelle sillage servait à délimiter la ligne que le commun des mortels n’était pas habilité à franchir. Pour ma part, plus une jeune mariée opte pour la robe longue, plus je crains de m’empêtrer les pattes dans son tissu nacré… surtout s’il s’agit de la robe en crêpe satin de Maggy Roof

Et dans une scénographie sombre et sobre, les traînes, les ailes de Thierry Mugler, les tee- shirts, la chute de reins de de Mireille Darc, les fleurs de Paul Poiret démontrent avant tout que la mode, comme l’art, n’est pas rigoureusement délimité. Après tout, inscrire « POLICE » à l’arrière d’une veste bleu marine n’est-il pas un choix artistique ? Question ouverte. 

Il reste alors à errer dans les salles d’exposition du musée, où ici et là, des mannequins, se sont perdus. Prêt à porter ou haute couture, tout y passe. Mises dos à dos, la sculpture et la mode s’offrent l’une à l’autre pour servir un même support : le corps. Reste que pour le spectateur, entre les deux, le cœur balance. 

Perla Msika

La Perle

Exposition “ Back Side : dos à la mode”
du 5 juillet au 17 novembre 2019
Musée Bourdelle
18 rue Antoine Bourdelle 75015 Paris
Commissaires d’exposition : Alexandre Samson